L'ex-Premier ministre du Pakistan, Benazir Bhutto, devenue le principal leader de l'opposition, a réclamé, pour la première fois, la démission du président Musharraf, demandant à la communauté internationale de cesser de le soutenir. Pour la seconde fois en six jours, le président pakistanais a fait assigner à résidence mme Bhutto, pour l'empêcher de lancer une longue marche contre l'état d'urgence maintenu au Pakistan malgré des législatives, mais que ses partisans ont essayé d'organiser. La manifestation a été interdite par la police qui invoque l'interdiction des rassemblements par les dispositions de l'état d'urgence mais surtout la sécurité de Mme Bhutto et ses partisans. Mme Bhutto avait déjà été la cible, le 18 octobre, de l'attentat le plus meurtrier de l'histoire du Pakistan, qui avait tué 139 personnes. mme Bhutto, qui veut fédérer l'ensemble de l'opposition, y compris les islamistes modérés menés par un ex-Premier ministre condamné à l'exil par Musharraf, a rompu définitivement les négociations entamées il y a plusieurs mois avec le général Musharraf pour un futur partage du pouvoir, brandissant la menace d'un boycott des législatives par son parti, le plus important de l'opposition et soutenu par les Etats-Unis, le partenaire privilégié d'Islamabad. Dimanche, sous la pression de la rue et de Washington, son principal bailleur de fonds, Musharraf avait annoncé qu'il maintenait le calendrier électoral en promettant les législatives avant le 9 janvier, promis d'abandonner la tenue militaire, mais il avait aussi annoncé le maintien de l'état d'urgence pour assurer, a-t-il dit, un environnement propice au scrutin au moment où les islamistes proches d'El-Qaïda multiplient les attentats meurtriers dans le pays. Mardi, Bush, dont le président pakistanais est l'allié clé dans sa guerre contre le terrorisme, devait monter d'un cran en appelant son protégé à la levée de l'état d'urgence pour que les élections soient libres et équitables. Implicitement, c'est un soutien à Mme Bhutto. L'image de Musharraf s'est considérablement ternie aux yeux des Occidentaux qui découvrent (!) en lui un dictateur, mais l'armée pakistanaise continue de le soutenir. Si certains officiers supérieurs estiment que l'arrestation depuis le 3 novembre de plus de 3 000 opposants, dont une grande majorité d'avocats, magistrats et défenseurs des droits de l'homme, est de trop, beaucoup s'inquiètent plutôt de l'activisme islamiste et restent en phase avec le général Musharraf qu'ils ont porté au pouvoir il y a huit ans par un coup d'Etat. Reste que si un renversement du général président par ses pairs n'est pas encore envisageable, tous les militaires pakistanais conviennent qu'un malaise s'est installé dans leurs rangs. L'armée est disciplinée et, jusqu'ici, nous n'avons observé aucune faille apparente ; mais l'inquiétude et l'appréhension grandissent, avertit Ikram Sehgal, ancien officier supérieur et rédacteur en chef d'un mensuel consacré aux questions militaires. Musharraf, un ancien membre des commandos d'élite, ne manque pas d'affirmer que l'armée est entièrement derrière lui. “Je suis à la tête des troupes et non pas derrière”, a-t-il récemment déclaré, balayant d'insistantes rumeurs de putsch à son égard. La haute hiérarchie, dit-on à Islamabad, nourrit de l'hostilité envers mme Benazir Bhutto, trop démocratique à ses yeux. Celle qui fut la première femme à accéder à ce poste dans l'histoire a conservé une force de mobilisation populaire qui dérange les militaires. D. Bouatta