9h45. Devant l'ancien Souk El-Fellah de Château-Neuf (entre El-Biar et Ben Aknoun), la circulation est inhabituellement fluide. Soudain, une très forte explosion fut entendue en même temps qu'une forte secousse. Au rond-point, les policiers restent pantois autant que les automobilistes qui s'arrêtent sur place. Passé le moment de surprise, un mouvement de panique s'empare des habitants de l'immeuble (appelé communément “bâtiment de Chateau-Neuf”) se trouvant juste en face, au siège de la division de la Police judiciaire Ouest. Sur place, on remarque des débris de verre par terre. Les vitrines des magasins ont volé en éclats. Hommes, femmes, et surtout vieilles personnes se trouvaient déjà dehors, l'air hébété. Personne n'a utilisé le terme d'attentat. “El gaz, el gaz ! Kache appartement atartague fihe el gaz !” criaient plusieurs jeunes en même temps. Des policiers accourent vers l'entrée de l'immeuble talkies-walkies à la main. Alors que certains montent les escaliers en courant, d'autres bloquaient l'entrée, ne laissant personne entrer. Tout le monde se posait la question : de quel appartement est venue cette explosion ? Quelques minutes après, les policiers qui sont montés reviennent en courant, et l'un d'eux de crier : “Ce n'est pas ici. Il n'y a rien dans ce bâtiment !” Et sur-le-champ, tous ceux qui étaient sur place accouraient vers Ben Aknoun. Une autre “vague” venait du côté droit et se dirigeait aussi vers le bas du centre commercial. Arrivé au niveau de la polyclinique de Ben Aknoun, la foule était déjà grande. C'est une véritable cacophonie. Alors que le service d'ordre essaie de frayer un passage aux ambulances et aux voitures des officiels, les badauds devenaient de plus en plus nombreux et les policiers avaient beaucoup de mal à les contenir. Subitement, on entend des cris : “Wahdoukhra va exploser (une autre va exploser) !” Et voilà que tout le monde courait dans le sens contraire que ceux qui viennent pour voir de plus près ce qui se passe. Passé ce moment de panique, le mouvement allait dans l'autre sens. La faculté de droit se trouve juste à une centaine de mètres du lieu de la tragédie. Les gens affluaient en courant et les sirènes des ambulances s'entendaient. Il y avait déjà beaucoup de monde. Les informations sont encore confuses pour tous ceux qui étaient sur place. Une seule certitude, un bus transportant les étudiants a bel et bien été touché. Tout le monde pouvait l'apercevoir de loin avec son toit au milieu de la route. En nous approchant du lieu exact de l'explosion, on pouvait apercevoir le bus calciné et plusieurs voitures dans le même état. Une scène apocalyptique se présentait devant nous. Le sang était partout et l'odeur de brûlé très forte. Les ambulanciers couraient dans tous les sens. Face au siège du Conseil constitutionnel, nous remarquons un véhicule utilitaire de couleur blanche dont on a eu du mal à déterminer la marque. Bizarrement garé dans l'autre sens de la circulation (la route est à sens unique), les vitres avaient volé en éclats. L'horreur était encore plus grande en nous approchant. Sur le tableau de bord il y avait beaucoup du sang et… le corps du conducteur inerte y était encore. Le visage était couvert d'un drap maculé de sang et tous ceux qui s'en approchaient s'en s'ont éloignés choqués, tout en demandant des ambulanciers. Ces derniers paraissaient débordés face à la multitude de corps à transporter. Au fil des minutes, la foule autour du lieu de l'attentat grandissait et le service d'ordre avait du mal à y faire face. Les plus difficiles à “gérer” étaient surtout des femmes d'un certain âge qui insistaient pour passer. L'une d'elles criait devant un policier qui l'avait pris par le bras fermement : “Matouchiniche. Laisse-moi passer et ne me touche pas ! Ma fille travaille fel bâtiment hadak. Lazam anchoufha.” Au même moment, plusieurs blessés, le visage ensanglanté, étaient dirigés vers la polyclinique à une centaine de mètres plus haut. La panique était perceptible sur tous les visages. En entrant dans la clinique, c'était le branle-bas. Plusieurs personnes étaient allongées sur des brancards ou carrément sur des bancs, toutes blessées mais visiblement sans grande gravité. Une infirmière sur place nous déclarera : “Ceux-là ont de simples blessures. Les cas les plus graves ont été transférés à Béni-Messous et Birtraria.” Beaucoup de jeunes entraient en haletant à la polyclinique à la recherche de leurs proches et tous étaient dirigés vers les hôpitaux. Face à la polyclinique, nous avons remarqué un regroupement. Au milieu un homme d'une cinquantaine d'années qui racontait ce qu'il avait vu : “J'étais dans le bâtiment du Conseil constitutionnel lorsque ça a explosé, et j'ai tout vu.” Salim Koudil