Jusqu'ici relativement épargnées par l'effondrement du marché des crédits immobiliers aux Etats-Unis, les banques françaises subissent à leur tour les effets de la crise qui s'est propagée à l'Europe par l'intermédiaire de produits financiers complexes. Le Crédit Agricole s'est livré jeudi dernier à une opération vérité sur son exposition à la crise, en révélant qu'il amputerait son bénéfice net 2007 de 1,6 milliard d'euros et que les comptes de sa filiale de banque d'investissement Calyon seraient dans le rouge. Ce même jour, la Banque populaire et la Caisse d'Epargne, les deux maisons mère de Natixis, ont, comme elles l'avaient annoncé fin novembre, fait appel au marché pour renflouer une filiale américaine de Natixis en difficulté à cause de la crise. Cette opération de sauvetage va leur coûter 1,5 milliard de dollars (environ un milliard d'euros). La situation des banques françaises est sans commune mesure avec d'autres banques européennes, comme la britannique Northern Rock que Londres pourrait nationaliser pour la sauver de la faillite, ou l'allemande SachsenLB, que l'Etat de Saxe a accepté de soutenir pour la même raison. Sans parler des américaines qui ont annoncé d'énormes dépréciations et ont dû se résoudre, comme c'est le cas de Citigroup ou de Merrill Lynch, à appeler à la rescousse des fonds souverains étrangers. “On est en période de fin d'année civile, où les entreprises regardent bien leur situation et prennent éventuellement des provisions pour l'exercice suivant. Cela me paraît de bonnes pratiques, je suis plutôt satisfaite”, a commenté vendredi la ministre française de l'Economie Christine Lagarde, au lendemain des annonces du Crédit Agricole. “C'est une mesure de salubrité comptable prise par les établissements financiers, et c'est mieux que d'être dans le vague”, a-t-elle ajouté. Le Crédit Agricole a pris cette initiative en raison de la détérioration de la situation sur les marchés financiers qui a abaissé la valeur de son portefeuille de CDO (Collaterized Debt Obligations). Ces produits titrisés sont les principaux vecteurs de la crise. Comme ils offrent une rémunération élevée, les banques en ont rempli leurs bilans. Certains de ces instruments sont adossés à des créances “subprime”, d'autres à des créances “prime”, qui ne présentent donc pas le même niveau de risque, mais tous souffrent aujourd'hui de la défiance des investisseurs qui s'en détournent massivement. Faute d'acheteur, leur prix s'est effondré et leurs détenteurs se voient contraints par les nouvelles normes comptables de les évaluer à leur valeur de marché, valeur par définition fluctuante. Toutes les banques françaises ne sont pas logées à la même enseigne. BNP Paribas, qui a été la moins gourmande en produits titrisés, a estimé ses pertes à 301 millions d'euros. Société Générale, qui est un peu plus exposée, a chiffré les siennes à 401 millions et Natixis à 407 millions d'euros. La crise n'a d'ailleurs pas empêché la Société Générale d'annoncer jeudi la prise de contrôle d'une des principales banques russes, Rosbank, une opération qui devrait lui coûter pas loin de 2 milliards d'euros et constitue la plus importante acquisition jamais réalisée par la banque française. Reste que les chiffres annoncés sont provisoires. Les banques françaises devront sans doute dans les mois à venir réajuster la valeur de leur portefeuille à la baisse si les CDO continuent de perdre de la valeur, ou au contraire à la hausse si les acheteurs reprennent confiance.