Maître Ksentini, qui veille sur nos droits de l'Homme, affirme qu'“en six ans d'existence”, sa commission n'a pas “reçu une seule instruction ou remarque du président de la République”. Il nous suggère de nous en réjouir. Car, ce serait là la preuve de son autonomie et celle de l'institution qu'il dirige. Maître Ksentini a, pour le moins, une conception naïve de l'indépendance. Si tous les magistrats, les fonctionnaires, les hommes politiques, les journalistes que le Président n'appelle pas doivent se considérer comme indépendants, on serait le paradis de l'indépendance. Dans le cas de la commission des droits de l'Homme, c'est même dommage qu'elle n'ait pas reçu d'instructions du Président, premier garant de nos droits. Au demeurant, d'où viennent alors ces instructions ? Il est difficile de croire, par exemple, que la CNCPPDH, qui vient d'enregistrer la requête des anciens détenus des camps du Sud, aurait donc improvisé l'enregistrement de cette demande. Et c'est dans une émission de l'ENTV, une télévision où l'on ne passe pas par hasard, que le président de la Commission des droits de l'Homme proclame son indépendance. D'ailleurs, on constate, dans le discours de Ksentini, un trop grand élargissement du sens de la notion de droits de l'Homme pour convenir de son autonomie. Quand il tente d'expliquer la démarche de réconciliation nationale qui, selon lui, ne s'incarne pas “dans une confrontation entre deux forces, mais plutôt dans une volonté d'amener les islamistes et les démocrates à vivre ensemble et à se supporter les uns les autres”, il quitte le domaine du droit pour celui de la politique. La formule est insoutenable au niveau sémantique : si l'islamisme n'était pas une idéologie de l'intolérance, la question de “se supporter” ne se poserait même pas ; et si l'islamisme est effectivement une doctrine de l'intolérance, la question “de se supporter” est tranchée avant qu'elle ne se pose. À moins de considérer qu'un démocrate puisse être intolérant, ce qui le disqualifie comme démocrate. L'effort intellectuel est inutile : dès qu'on veut rationaliser la démarche — politique — de réconciliation nationale, on se condamne à énoncer l'absurde. En fait, pourquoi la Commission des droits de l'Homme devrait-elle se contraindre à superviser la mise en œuvre de la réconciliation, puisqu'un organisme de veille sur les droits de l'Homme a vocation de surveiller le respect de la loi par les instances qui ont mission de l'appliquer ? Or, dans le cas des terroristes islamistes, une fois immunisés contre toute poursuite judiciaire, en quoi relèveraient-ils encore de la problématique des droits de l'Homme ? Quand le discours sur le droit ne peut pas à ce point se libérer du discours sur le politique, c'est que l'indépendance des institutions est déjà compromise. Après la politique, Ksentini fait une incursion dans le social pour dénoncer “la cherté dramatique des prix”. Oh ! Pas jusqu'à nous dire, comme Chirac, que le premier des droits de l'Homme est de se nourrir. Mais cela prouve que sa préoccupation reste à circonscrire. Mais pour cela, il a besoin de toute l'indépendance qui se rattache à la mission des droits de l'Homme. M. H. [email protected]