“Un salaire décent, pour vivre dignement et sortir de la précarité” ; résumée ainsi, la revendication des douze formations syndicales, composant la Coordination nationale des syndicats autonomes de la Fonction publique, illustre plutôt une détresse sociale, qui tranche avec une certaine maladresse du gouvernement dans sa prise en charge, qu'une dénonciation d'un statut général de la Fonction publique qui ne répond pas à leurs attentes. Dans ce contexte précis, la problématique développée par les grévistes autour de “la hausse des salaires” ne se décline plus comme une question de principe ou un droit à négocier avec les pouvoirs publics, mais comme un SOS qui risque, en l'absence d'un retour d'écoute, d'orienter le front social vers des sentiers non balisés. Autant dire qu'avec le risque avéré d'une radicalisation du mouvement de protestation, l'équilibre social déjà précaire risque de partir dans tous les sens. Et pour cause, la nouvelle politique salariale, initiée par le gouvernement, censée rattraper le retard accusé par le pouvoir d'achat du citoyen, et avoir ainsi vocation de réponse appropriée à un problème, aura tôt fait de créer d'autres problèmes susceptibles d'aggraver la situation. Il en est ainsi, par exemple, de cette nouvelle grille de salaires qui ressemble à s'y méprendre à un traitement de deux poids deux mesures traduit expressément par des incohérences dans la classification de certaines catégories, ou encore la mise sous le coude de certains avantages comme le logement social qui était auparavant un acquis dans la sphère de l'éducation. Ceci pour dire qu'une concertation plus large avec les représentants des travailleurs aurait peut-être contribué à mieux comprendre les vérités d'une situation sociale qui trouve malheureusement, ailleurs que dans l'économie formelle, le code de commerce et la réglementation en matière de travail, son équilibre. Donner la possibilité au plus grand nombre de syndicats de participer à l'élaboration des politiques sociales, c'est aussi une manière de faire avancer les choses en posant le bon diagnostic et surtout pour le gouvernement de bénéficier de l'assentiment des concernés eux-mêmes dans la prise de décision, fût-elle peu avantageuse. L'essentiel, n'est-ce pas, reste d'écouter l'autre, de négocier et de tenir au moins compte du point de vue du partenaire social. La volonté du gouvernement d'améliorer la situation sociale des travailleurs aurait sûrement gagné en crédibilité, et la hausse des salaires en efficacité si elle s'était débarrassée des arrière-pensées politiques qui transforment les solutions préconisées en ce sens en simples ersatz, juste bons à arrondir les angles d'une grogne sociale qui commence à sourdre dans le pays. Et il faut bien admettre que la nouvelle politique salariale du gouvernement, présentée comme une suprême concession aux travailleurs, est en réalité loin du compte. Toutes les études faites en ce sens ont conclu, en effet, que la famille algérienne moyenne a besoin, pour vivre décemment et sortir de la précarité, d'un revenu minimum de 30 000 dinars. Cette vérité, les pouvoirs publics tout autant que les citoyens ne peuvent pas l'ignorer. Reste donc à dire qu'entre deux maux, il s'agit pour le travailleur et pour le gouvernement de choisir le moindre. En effet, fort de cet avantage d'assurer la sécurité de l'emploi, la Fonction publique force, pour ainsi dire, la main à ceux qui ont la chance d'échapper au chômage de se contenter, contre tout bon sens, d'augmentations en net décalage avec la vérité des salaires et la vérité des prix des produits de large consommation et des services. L'alternative existe pourtant pour une bonne proportion de ces travailleurs dans un secteur privé où les salaires sont plus que séduisants. Faire carrière dans ce secteur, c'est assurément améliorer ainsi nettement sa condition sociale. “Mais pour combien de temps ?” rétorquent d'aucuns avec cet argument que l'emploi dans le secteur privé reste quand même précaire et révocable à tout moment. Dans cette veine, nombreux sont les travailleurs qui n'ont pas la prétention de revendiquer 30 000 dinars et certains avantages. Ils ont bien montré qu'ils peuvent se contenter du peu que leur offre l'Etat en bénéficiant, par ailleurs, de la sécurité de l'emploi. Tout au plus s'ils demandent à ce qu'ils ne soient pas sacrifiés à une libéralisation économique qui fonctionne aujourd'hui comme un rouleau compresseur dans le contexte social. Zahir Benmostepha