Stoppés net dans la procédure de ratification de la Constitution de l'Union par le refus des Français et des Néerlandais, les principaux dirigeants européens chercheront à recoller les morceaux aujourd'hui et demain. Pour espérer remettre la machine sur les rails, les chefs d'Etat et de gouvernement européens devront d'abord régler la question du budget. Ce point précis provoque, depuis quelques jours, une vive polémique entre Paris et Londres. “Après le non français et celui des Pays-Bas sur la Constitution, nous sommes en crise. Il ne faut pas rajouter à la crise politique, institutionnelle, une crise financière”, a averti le nouveau chef de la diplomatie française, Philippe Douste-Blazy. Les deux parties n'arrivent pas à trouver un terrain d'entente sur la question de la politique agricole commune, adoptée en octobre 2002. Alors que Tony Blair veut par tous les moyens modifier les dispositions de ce programme d'aide aux agriculteurs, Jacques Chirac n'est nullement disposé à transiger sur ce sujet. Soutenu par Gerhard Schroeder, le président français campe sur sa position. “En ce qui concerne les subventions agricoles, le chancelier Gerhard Schroeder est pleinement sur la même ligne que le président français”, a confirmé le porte-parole du chancelier allemand. Devant cette situation de blocage, le président en exercice de l'Union européenne, Jean-Claude Juncker, tente de parvenir à un compromis qui satisferait les deux antagonistes. Par le biais de son ministre des Affaires étrangères, la France affirme souhaiter un compromis, tout en refusant toute possibilité de faire des concessions sur la politique agricole. Pendant ce temps, le Premier ministre britannique exige une révision de toute la structure du budget européen. “Il doit y avoir une révision plus large car, même avec la proposition actuelle, nous avons un budget très déséquilibré”, avait déclaré à ce sujet son porte-parole. La ristourne dont le Royaume-Uni bénéficie, depuis 1984, sur sa contribution au budget européen, est apparue, une nouvelle fois, comme la clé de la négociation. En effet, Paris et ses alliés veulent geler le rabais dont bénéficie la Grande-Bretagne, afin d'augmenter sa contribution au budget de l'UE. “Vous ne pouvez pas discuter de l'existence du rabais britannique à moins de discuter de l'ensemble du financement de l'Union européenne, y compris du fait que 40% vont toujours à l'agriculture”, a martelé Tony Blair, lundi dernier, à Moscou. Les observateurs redoutent que ce sommet ne se transforme en un duel entre le chef de l'Etat français et le Premier ministre britannique. Ce bras de fer entre Londres et Paris a poussé le quotidien londonien The Independent à publier, avant-hier, une double page pour exposer 1 000 ans de rivalité franco-anglaise. Le journal fait le tour de l'inimitié profonde qui divise, Anglais et Français, depuis la bataille d'Hastings, des goûts culinaires à la rivalité pour les Jeux olympiques. Outre les guerres, batailles et conquêtes qui ont opposé les deux pays, dont l'invasion normande des îles britanniques, au XIe siècle, par Guillaume le Conquérant, la Guerre de cent ans, avec la victoire anglaise d'Azincourt, les revers napoléoniens de Trafalgar et Waterloo, d'autres rivalités, plus sourdes, sont passées en revue. Toujours est-il que les Luxembourgeois, qui accueillent ce rendez-vous, gardent l'espoir d'aboutir à un compromis, arguant que Tony Blair n'a jamais fermé la porte à la négociation. “Essayons de rester calmes. Nous savons que nous devons trouver une solution. Même les Anglais le savent. Je garde un certain optimisme”, a déclaré le ministre des Affaires étrangères du Luxembourg, Jean Asselborn. K. ABDELKAMEL