Comme prévu, il faudra attendre un second tour pour pouvoir connaître les 31 membres du conseil de l'Ordre d'Alger. Les élections pour le renouvellement du bureau des avocats, qui se sont déroulées jeudi passé au niveau du “nouveau” siège de la cour d'Alger, n'ont pu “accoucher” que de deux noms. Il s'agit (ce n'est une surprise pour personne) de Me Sellini, le bâtonnier actuel qui brigue un troisième mandat, et de Me Khiat. Les deux sont sur la même liste. Ainsi, il faudra attendre jeudi prochain pour connaître les noms des 29 autres. Concernant la participation, ce sont environ 2 400 avocats (stagiaires inclus) qui ont participé à ces élections (selon les chiffres annoncés par plusieurs candidats), soit environ 56% comme taux. Ces résultats n'ont été connus que le lendemain des élections. Le dépouillement, qui a commencé dès 17h30 sous l'œil du président de la commission, Me Ben Bouali, n'a pu se terminer que très tôt vendredi matin. Donc jeudi prochain, le second se déroulera avec les mêmes listes en jeu (sauf désistement ; les candidats ont 48 heures pour le faire) pour élire les autres 29 membres du conseil non encore choisis. Cependant, ces résultats ne semblent pas intéresser les candidats qui étaient derrière la fronde anti-Sellini lancée au début de la semaine passée. Tous paraissaient dépités et consternés par les conditions dans lesquelles les élections se sont déroulées. En réaction “au trafic et à la mainmise du bâtonnier sur le bureau”, ils ont décidé de la création d'un syndicat autonome dont les contours “seront connus dès les prochains jours”. Les fers de lance seraient déjà connus et les noms de Me Benbelkacem, Me Chaoui, Me Mentalecheta, Me Allouche, ou encore Me Menacer sont les plus cités. Nos sources affirment que plusieurs d'entre eux se sont rencontrés jeudi soir et ont décidé d'un commun accord de la création d'un syndicat autonome. Un “mouvement” qui, ils l'espèrent, viendra contrecarrer le bureau des avocats d'Alger. Il faut dire que ce qui s'est passé jeudi dernier ne peut que leur donner raison. Pour les élections, nous avons assisté plutôt à des simulacres où tout paraissait biaisé à l'avance. Une interpellation en guise d'accueil D'ailleurs dès notre arrivée, alors qu'on était dans les couloirs, deux policiers nous ont interpellés et nous ont conduits dans un bureau. Après nous avoir demandé notre carte professionnelle, les policiers en uniforme (accompagnés d'un agent de sécurité) nous expliquent qu'ils ne font qu'appliquer les directives. L'un affirme que “ça vient des avocats eux-mêmes”, un autre dit que c'est le procureur général et un autre se contente d'un “notre responsable va venir et vous expliquer”. Ce dernier vient et nous informe que ce sont finalement les photographes qui sont concernés par l'“ordre”, sans autre précision. Finalement, c'était plus un excès de zèle qu'autre chose qu'on se serait épargné avec plaisir. “Maâlinache”, comme dirait l'autre, il y a tout de même beaucoup plus grave. 147 candidats pour 31 postes Pour le vote en lui-même, il y avait huit bureaux éparpillés entre le rez-de-chaussée, le premier étage et le second. Chaque bureau était doté de sept listes représentant 147 candidats en lice. En plus de celle du bâtonnier sortant, il y avait, entre autres, celle de Me Bouchachi, ou encore de Me Mentalecheta. Les membres de la commission étaient souvent “harcelés” par les candidats qui les interpellaient pour dénoncer des “anomalies” qui, au fil des heures, devenaient de plus en plus nombreuses. De notre côté, nous avons tout de même assisté à des scènes loin, très loin d'être des “élections libres et honnêtes”. Les plus “visibles” étaient le harcèlement ou plutôt, comme l'ont exprimé plusieurs avocats, le “racolage” par plusieurs candidats et de leurs stagiaires. Surtout ces derniers qui, les listes à la main, couraient presque derrière les avocats (surtout les jeunes) pour leur demander de choisir tel nom et tel numéro. Les gens de la profession insistent sur les “usages” qui font que c'est toléré, “même si la loi l'interdit” ; toutefois, ce sont dans les bureaux que nous avons remarqué la présence de plusieurs candidats ou leurs représentants devant les votants, alors que ces derniers étaient en train de remplir leur bulletin. Tout cela devant les yeux des responsables des bureaux et des membres de la commission. Aussi les isoloirs étaient-ils carrément inutilisés. Les électeurs devaient donc s'asseoir et remplir leur bulletin sous les yeux bienveillants des candidats et de leurs représentants qui n'hésitaient pas à montrer le “bon choix”. Les stagiaires : les convoités “bunkérisés” Là on arrive aux fameux stagiaires sur lesquels les candidats se sont beaucoup focalisés durant l'“avant-élection”. La voix des stagiaires était à l'avance considérée comme la plus déterminante. Sur les listes affichées au niveau du siège de la cour d'Alger, nous avons pu connaître leur nombre exact, soit 1 316 en tant que corps électoral. Dès dimanche, les candidats anti-Sellini avaient dénoncé le fait d'avoir permis à “plus de 1 500 stagiaires” de prêter serment en… juillet 2007. Une réaction (qui vient tout de même très en retard) qu'on a comprise sur “le tas” ce jeudi. En effet, les stagiaires ont été complètement isolés. Me Sellini avait certes annoncé que tout un étage leur sera réservé pour “que personne n'ose nous accuser de les influencer”, mais on ne s'attendait pas à voir un véritable bunker. Nous avons essayé d'y accéder, mais un niet catégorique nous a été notifié. On nous a rétorqué qu'il fallait avoir la carte justifiant le statut d'avocat stagiaire : “C'est l'administration du bâtonnat qui s'occupe de ces bureaux de vote. L'équipe du bâtonnier encadre ces stagiaires et vous voulez des élections honnêtes dans ces conditions ? En plus, Sellini va les voir, mais nous on nous interdit de monter”, nous interpellera Me Chaoui, l'un des fers de lance du front anti-bâtonnier. Me Benbelkacem renchérira dans le même sens en brandissant des feuilles : “Nous avons déposé des recours au niveau de la commission électorale, mais tout indique que ça ne va rien changé à la donne. En plus d'avoir joué avec les noms sur le tableau affichant les noms des avocats, le conseil sortant avait déjà préparé son coup. Avec le fichier électoral à la main, c'est l'équipe de Sellini qui avait averti ces stagiaires avec des textos. Ils avaient tout de leur côté.” Un autre avocat, visiblement très dépité lui aussi, ajoutera : “Pour aller au Caire, ils ont démarré de Tunis, alors que nous devions le faire de Casablanca. D'ailleurs à Blida, on a su comment faire en interdisant carrément aux stagiaires de voter.” Pour Me Mentalecheta, ce qui se passait en ce jeudi annonce avant tout l'urgence de revoir de fond en comble la situation des avocats, et pas seulement d'Alger : “La loi est à revoir, c'est plus qu'urgent. Beaucoup de choses doivent être revues. Ceux qui ne veulent pas que ça change en profitent.” Me Chaoui nous interpellera : “Il y va de l'existence même de la profession. Soit on élimine ce système qui régit tout ce qui touche aux avocats, soit on peut dire d'ores et déjà adieu à la profession.” Salim KOUDIL