C'est à partir de Londres, baptisée Dar El-Harb par les fondamentalistes algériens et leurs mentors du Moyen-Orient, que les appels au terrorisme en Algérie étaient lancés pendant les années 1990. Kharbane et consorts avaient tissé dans la capitale britannique une véritable nébuleuse, pourvoyant les maquis du GIA en armes, en argent, en tracts et en terroristes. Que sont-ils devenus aujourd'hui ? Pourquoi la justice britannique n'a jamais rien intenté contre eux ? Il y a eu un avant et un après-7 juillet 2005 pour les islamistes algériens réfugiés au Royaume-Uni. Les attentats du métro londonien les ont transformés d'opposants en exil exubérants, mis sous la protection de Sa Majesté, en persona non grata, dans la ligne de mire de Scotland Yard. Ce changement d'attitude, à quelques exceptions près, les a réduits au silence. Plus question d'appeler au terrorisme islamiste, ni en Algérie ni ailleurs dans le monde. Leur logistique ayant été détruite et leurs mentors, à l'instar de l'Egyptien Abu Hamza et du Palestinien Abu Kutada, neutralisés, ils se font oublier. “Ils se sont convertis dans le business”, ironise une source diplomatique à Londres. Certains, en effet, ont ouvert des commerces dans la capitale britannique, comme Boudjemaâ Benoua (ex-Afghan accusé d'avoir commandité l'attaque de la caserne de Guemmar en 1991) qui gère un petit bazar à Camden Town, ou l'ancien diplomate, Mohamed Larbi Zitout, propriétaire d'un case à Marbel Arch. De son côté, Kamaredine Kharbane s'est lancé dans la confiserie artisanale. L'ancien membre de l'instance exécutive du FIS à l'étranger, nommé par la suite dans le gouvernement du GIA, tout comme ses acolytes, a refusé de bénéficier des dispositions de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Le président du MSP, Aboudjerra Soltani, envoyé à Londres afin de convaincre les égarés de revenir dans le droit chemin et de rentrer au pays, n'a pas réussi à fléchir la position des chefs. En revanche, dans les troupes, certains ont répondu favorablement à l'offre de paix. Selon Mohamed Salah Dembri, notre ambassadeur à Londres, quelques dizaines d'individus se sont présentés aux services consulaires pour bénéficier des dispositions de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Une bonne partie des islamistes algériens que le territoire britannique a abrités pendant près de vingt ans a fait ses classes en terre d'accueil. “Il n'était pas étonnant de voir un jeune à l'allure rock'n'roll transformé en barbu pur et dur”, relatent nos sources. Les mosquées de Londres, celle de Rostom Road et plus particulièrement celle de Finsbury Park, dans le nord de la capitale, étaient les centres de recrutement par excellence. “Des jeunes sans papiers et complètement égarés arrivaient chaque jour dans le quartier. Les responsables de la mosquée leur offraient le gîte et le couvert. Les soirées étaient dédiées aux halakate. La phase d'endoctrinement achevée, les disciples devaient faire leurs preuves. Les moins déterminés se chargeaient des quêtes et de la distribution des tracts. Les plus téméraires, quant à eux, étaient envoyés accomplir le djihad en Algérie, en Bosnie et, plus tard, en Tchétchénie et en Irak. Aucun n'est revenu”, nous-dit-on. Les gourous restés au chaud à Londres ont transformé Finsbury Park en petite république islamique. Les réfractaires à l'autorité des maîtres des lieux étaient menacés. “Des barbus juraient de me tuer au cours d'un de mes voyages en Algérie”, confie un occupant du quartier, sous le couvert de l'anonymat. Des rackets étaient organisés sans que les victimes aient la possibilité de porter plainte.“Les Anglais fermaient l'œil sur tout car ils pensaient que les islamistes finiraient par prendre le pouvoir en Algérie”, soutiennent tour à tour nos interlocuteurs. La propagande est organisée sous la direction des deux prédicateurs de l'apocalypse, Abu Hamza, imam usurpé de la mosquée de Finsbury Park, et Abu Kutada. Le premier supervise la revue El Ansar, journal du GIA. Le second édicte des fetwas autorisant les massacres des civils en Algérie. Ayant échoué à implanter le mouvement salafiste en Jordanie, Abu Kutada propage ses idées délirantes et dangereuses auprès des terroristes algériens. Omar Bakri, fondateur du mouvement des Mouhadjiroune, a aussi une emprise sur les éléments des groupes armés via leurs représentants à Londres. Ces derniers, très actifs, sont présents sur tous les fronts. En 1994, un meeting rassemblant 8 000 personnes est tenu au stade Wembley à l'appel du Parti de la libération islamique. En 2000, la mission islamique de Grande-Bretagne tient un autre rassemblement à Sheffield au cours duquel des appels au djihad sont lancés. 200 Algériens dans les prisons britanniques Baptisé Dar El-Harb, le territoire britannique et son Londonistan servent de rampe de lancement aux actions terroristes. Abu Hamza est accusé par les Américains d'avoir voulu en ouvrir un sur leur sol, dans l'Oregan. C'est dans ce cadre qu'ils ont demandé son extradition (la requête vient d'avoir l'aval du Home Office). Le prêcheur de Finsbury Park a été interpellé en 2004 par Scotland Yard, pour soutien à des organisations terroristes. Il a été arrêté sur le seuil du lieu de culte en compagnie de ses adjoints, dont des Algériens. Le nombre d'Algériens pris dans le coup de filet, et plus globalement, ceux qui ont été incarcérés pour des faits terroristes, est approximatif. Des sources diplomatiques affirment qu'il y a environ 200 nationaux dans les prisons britanniques, tous délits confondus. Pendant les années 1990, l'Etat algérien avait demandé la livraison de ces terroristes, les chefs notamment. Sans succès. Suite à la signature de l'accord d'extradition entre l'Algérie et le Royaume-Uni, intervenue en 2006 au cours de la visite de M. Bouteflika à Londres, 17 individus seulement ont été remis aux autorités judiciaires algériennes. Un seul a été gardé en détention alors que tous les autres ont été relâchés. “Ils ne faisaient pas l'objet de poursuites en Algérie. Les Anglais les ont arrêtés sur le territoire abusivement”, confie-t-on. Afin d'attirer l'opinion publique sur leur sort, ils on fait paraître une lettre dans le quotidien The Guardian pour se plaindre des conditions de leur détention. Paradoxalement, les Anglais ont constamment exprimé des doutes sur le sort des extradés potentiels vers l'Algérie. Durant les années 1990, les présomptions de torture et de procès expéditifs constituaient les principaux motifs de refus par les Britanniques des demandes algériennes d'extradition. caméras et rafles pour débusquer les cellules dormantes Au cours de ses nombreux déplacements à Alger ces dernières années, Kim Howells, ministre d'Etat au Foreign Office chargé des affaires du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord, a encore fait l'écho de ce genre de préoccupations. Cependant, l'accent est mis davantage sur l'instauration d'un partenariat solide dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Au Foreign Office, nos interlocuteurs placent ce genre de coopération au cœur des relations bilatérales. Les Algériens s'engagent à faire profiter les Britanniques de leur expérience. À charge pour ces derniers de prévenir les tentatives de reconstitution des réseaux islamistes algériens sur leur sol. Réputé comme étant le fief des fondamentalistes, le quartier de Finsbury Park est mis sous surveillance accrue. Des caméras supplémentaires ont été installées dans ses rues. Un fourgon de la police stationne en permanence à proximité de Blackstock Road (où sont concentrés les commerces des Algériens). Des rafles sont organisées pour débusquer de potentielles cellules dormantes. Outre les démonstrations de force, la police tente d'endiguer la tentation intégriste parmi les jeunes Algériens par l'intermédiaire de leurs représentants. Mohamed Nacer, patron d'Arab Advice Bureau, une organisation semi-caritative, spécialisée en traduction et en aide juridique, en faveur des sans-papiers notamment, est régulièrement sollicitée par les services de sécurité. De son côté, l'association s'emploie à changer l'image des Algériens et de leur pays auprès des Britanniques. L'automne dernier, elle a participé à une kermesse tenue dans le Park de Finsbury. Des dépliants décrivant l'Algérie, sa culture et ses traditions ont été distribuées aux visiteurs. “Les Anglais ne doivent plus voir en nous des terroristes mais une communauté positive”, martèle Mohamed Nacer. Les barbus, il est vrai, se font de plus en plus rares à Finsbury Park. Les samedis, quelques-uns se retrouvent dans le jardin pour des parties de foot. Parmi les mentors, Mohamed Larbi Zitout est le seul pratiquement à faire encore parler de lui. Prudent, il s'emploie à se débarrasser de son profil d'islamiste radical. Il dirige à Londres le mouvement Erachad que des anciens cadres du FIS en exil, dont Mourad Dhina ont créé dans la capitale anglaise en avril 2007. Intervenant régulièrement sur les chaînes satellitaires arabes, l'ex-diplomate se découvre démocrate et appelle à l'instauration d'un Etat de droit en Algérie. Mais la méthode qu'il propose n'est pas sans rappeler la stratégie du FIS. “Nous pensons organiser une sorte d'intifadha, de manifestation nationale (…). Il y aura toujours un prix à payer. L'Algérie, ce n'est pas la Géorgie, on ne peut pas réussir une révolution qu'avec des fleurs”, a-t-il expliqué dans l'une de ses interventions. Ses intentions sont sans équivoque. La stratégie terroriste est plus que jamais d'actualité chez les islamistes algériens installés à l'étranger. S. L.-K.