En jugeant recevable le recours déposé le 14 mars dernier par le procureur en chef de la Cour de cassation, Abdurrahman Yalçinkaya, visant à obtenir l'interdiction du Parti de la justice et du développement (AKP), la Cour constitutionnelle turque pourrait plonger le pays dans une grave crise. Bien qu'une vingtaine de formations politiques ont été bannies depuis les années soixante pour le motif d'atteinte à la laïcité, une décision similaire de la Cour constitutionnelle turque à l'encontre de l'AKP aura des conséquences désastreuses sur la stabilité politique d'Ankara. Le bannissement de ce parti, majoritaire à l'Assemblée grâce aux 47% des suffrages remportés lors des dernières élections législatives de juillet 2007, sera synonyme d'une grave crise politique. Il faut attendre le verdict de la Cour constitutionnelle, laquelle a jugé recevable le recours déposé le 14 mars par le procureur en chef de la Cour de cassation, Abdurrahman Yalçinkaya, lequel estime que l'AKP, menace les fondements laïques de la République turque. Dans son argumentation pour justifier son action, le procureur cite la récente libéralisation du voile islamique à l'université, dont l'application est toujours suspendue à une décision de la justice. Ainsi, le vice-président de la plus haute instance judiciaire turque, Osman Paksüt, a affirmé qu'au terme d'une réunion, la décision d'accepter le recours avait été prise à l'unanimité des 11 juges composant la cour. En outre, une majorité des juges a, par ailleurs, décidé d'inclure dans le procès le chef de l'Etat Abdullah Gül, un ancien cadre de l'AKP, a déclaré la même source. À voir le réquisitoire du procureur, qui a réclamé cinq années d'interdiction de politique à l'encontre de 71 responsables de l'AKP, dont Abdallah Gül, le président et le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, l'Etat turc pourrait être étêté une fois le verdict rendu. Mais, ne restant pas les bras croisés, le parti réfute ces accusations et prend ses dispositions pour contrer cette procédure. En effet, mettant à profit le fait que l'affaire prendra plusieurs mois, l'AKP a préparé en catastrophe une révision constitutionnelle, qui n'a pas encore été présentée, laquelle rendrait plus difficile la fermeture de partis politiques. Ceci étant, le parti d'Erdogan est accusé par les milieux pro-laïcité, très influents au sein de l'armée et de la magistrature, de vouloir islamiser la Turquie, officiellement à 99% musulmane mais au régime strictement laïc. Se défendant contre de telles intentions, l'AKP estime que la plainte répond à des motivations politiques. Il affirme avoir rompu avec l'islam politique et se définit comme un parti “démocrate conservateur”. Il dispose d'un délai d'un mois, extensible, pour présenter sa défense. Par ailleurs, cette affaire pourrait nuire à l'image de la Turquie à l'extérieur, notamment à sa demande d'adhésion à l'Union européenne, selon le président de la commission parlementaire conjointe Turquie-Union européenne, Joost Lagendijk. Ce dernier a déclaré : “Je suis sûr que les gens en Europe qui sont opposés à l'adhésion de la Turquie vont être très contents car ils vont avoir un nouvel argument pour dire ‘pourquoi devrions-nous négocier avec un pays dont le parti au gouvernement risque d'être fermé?'”. K. ABDELKAMEL