Alors que le procureur de la République présentait un sévère plaidoyer pour l'interdiction du parti AKP au pouvoir, devant la Cour de cassation, vingt et une personnes, dont des anciens généraux et des journalistes, ont été arrêtés mardi à Ankara dans le cadre d'une enquête sur un réseau soupçonné de vouloir renverser le gouvernement. Soupçonnés d'avoir participé à une tentative de coup d'Etat contre le gouvernement en place, deux anciens généraux quatre étoiles qui ont servi dans les plus hauts échelons de la hiérarchie militaire ont été arrêtés. Il s'agit de Hursit Tolon et de Sener Eruygur. Des journalistes font également partie des personnes arrêtées, dont notamment Mustafa Balbay, le correspondant à Ankara du journal Cumhuriyet, qui a souvent accusé l'AKP de vouloir islamiser la Turquie, ainsi que Ufuk Buyukcelebi, le rédacteur en chef du quotidien Tercuman. D'autres arrestations ont eu lieu à Istanbul et à Trabzon dans le nord du pays. Selon un fonctionnaire du ministère turc de la Justice, sous couvert de l'anonymat, ces personnes arrêtées sont soupçonnées “d'être, soit des responsables, soit des membres du groupe terroriste Ergenekon”. Ces arrestations interviennent en même temps que l'ouverture par la Cour constitutionnelle d'une procédure de dissolution de l'AKP pour activités anti-laïques. Le procureur de cette cour, Abdurrahman Yalçinkaya, a soutenu dans son plaidoyer, qui a duré plus d'une heure et demie, le bien-fondé de la procédure lancée contre ce parti lors d'une audience qui s'est déroulée à huis clos. Pour rappel, il avait déposé en mars un recours demandant l'interdiction pour activités “allant à l'encontre de la laïcité” de l'AKP, qui a rejeté ces accusations. La procédure contre l'AKP avait été lancée après la décision du gouvernement de lever l'interdiction du port du foulard islamique dans les universités. La Cour constitutionnelle a annulé cette révision en juin, estimant qu'elle était contraire aux fondements laïques de la République turque. L'incertitude politique causée par cette procédure entretient aussi le doute dans les milieux économiques. Dans son réquisitoire, il a demandé que 71 membres de l'AKP, dont le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan et le président Abdullah Gül, soient interdits d'appartenance à un parti politique pendant cinq ans. Il a affirmé : “La République laïque est aujourd'hui plus que jamais menacée (...) L'AKP se servira jusqu'au bout du “takiyye” (la pratique de dissimuler ses véritables convictions), jusqu'à ce que les objectifs d'un Etat inspiré du modèle islamique soient atteints.” C'est aujourd'hui que les représentants de l'AKP comparaîtront à leur tour devant les onze membres du tribunal, pour présenter la défense de leur parti. Ensuite, ce sera au tour du rapporteur du tribunal de rédiger ses recommandations, et de fixer un calendrier pour les délibérations avant l'annonce du verdict, qui ne devrait pas intervenir avant le mois d'août prochain. D'après les spécialistes de la scène turque, une interdiction de l'AKP, hypothèse jugée la plus probable par la plupart des analystes, plongerait la Turquie dans une crise politique et provoquer des élections législatives anticipées d'ici la fin de l'année. Il n'est pas exclu que les juges pourraient aussi préférer condamner le parti et ses dirigeants à une forte amende. K. ABDELKAMEL