L'affaire du foulard islamique, expression qui n'exprime rien, ni médiatiquement, ni spirituellement, resurgit depuis quelques semaines en France. On se souvient que la question avait squatté la “Une” des journaux télévisés en 1990 et n'avait été chassée de cette position privilégiée que par la chute du Mur de Berlin, événement plus séduisant pour les médias, non sans avoir fait quelques dégâts, jusqu'en Algérie où les intégristes ont saisi le prétexte d'un islam menacé pour argumenter leur projet. On sait où cela a mené. Comment ce qui est considéré en France comme une atteinte à l'un des fondements de la République, la laïcité, est-il redevenu aujourd'hui une affaire ? La polémique renaît en fait à la faveur de l'organisation de l'islam de France, menée tambour battant par Nicolas Sarkozy, qui a débouché sur la mise en place d'un Conseil français du culte musulman. Le Conseil a été élu, mais son président avait été auparavant désigné par le ministre de l'Intérieur pour contourner le risque, qui s'est avéré réel, de voir une des composantes, l'UOIF, prendre les commandes d'un Conseil représentant désormais quelque cinq millions de personnes. L'Union des organisations islamiques de France (UOIF), inscrite au catalogue des formations fondamentalistes, a déjà vingt ans d'existence et, sans s'en revendiquer, a des liens étroits avec l'organisation internationale des Frères Musulmans créée en 1927 en Egypte par Hassan El-Banna. Dix mille de ses militants, réunis en congrès annuel, ont hué le ministre de l'Intérieur qui avait soulevé, avec fermeté il faut le dire, la question récurrente du voile. Celui-ci s'est vu obligé de dire : “Les musulmans ne sont pas au-dessous de la loi, mais ils ne sont pas au-dessus.” Cette évidence n'était certainement pas la meilleure façon de calmer les esprits de ceux qui piaffent d'impatience de s'imposer dans une organisation susceptible de leur ouvrir grande la voie du contrôle de l'islam de France. En s'exprimant sur le thème spécieux du port du voile, l'UOIF, d'obédience marocaine, laisse formuler sa vision de l'islam et de la place des lois de la République. Maintenant que les musulmans de France peuvent solennellement s'asseoir à la table de la République, pour reprendre l'expression de Nicolas Sarkozy, quelles vont être les conséquences ? La précaution qui a consisté à désigner comme président un homme connu pour sa modernité et sa tolérance, Dalil Boubekeur en l'occurrence, a reçu l'aval étonnant de ses adversaires, pourtant fondés à réclamer un scrutin, y compris à ce niveau. Etonnant, si on oublie que, dans deux ans, le siège sera remis en jeu et que le nom du nouveau président du CFCM sortira des urnes cette fois. Cela ressemble fort à un délai de grâce. Le recteur Boubekeur saura-t-il le mettre à profit pour enrayer la dérive de la Mosquée de Paris qui ne cesse de céder du terrain à ses rivales ? Ces dernières ne dédaignent pas, à défaut de mieux, les garages et les caves d'où Nicolas Sarkozy veut faire sortir la pratique de l'islam, “pour, dit-il, le contraindre à s'ouvrir à la modernité”. Un travail de longue haleine a déjà été réalisé, précisément par l'UOIF qui a maillé la communauté musulmane de France, noyauté des milieux universitaires et s'est parfois infiltrée, dit-on, jusque dans certains partis politiques. Ce véritable entrisme est mis au service de la lutte contre l'intégration et pour le communautarisme. C'est exactement le contraire de ce que MM. Sarkozy et Raffarin déclaraient viser. La France, comme le reste de l'Europe, croyait s'être dégagée des problèmes de religions. Sans aller jusqu'à frissonner à l'évocation du souvenir de la Saint-Barthélémy, on peut se demander si Sarkozy n'a pas pris le risque de remettre au goût du jour les divergences de cette nature qui ont causé tant de tort à la France et au monde. Il faut reconnaître au ministre de l'Intérieur un certain courage à vouloir structurer la deuxième religion de France “qui, dit-il, devrait disposer d'une organisation capable de porter le dialogue inter-religieux”. Il convient de s'interroger non pas sur sa capacité à attaquer de front plusieurs dossiers lourds — immigration, sécurité, Corse —, mais sur le risque qu'il prend à remettre sur le tapis la question de l'intégration de l'Islam qui est loin de faire réagir à l'unisson la classe politique française. D'aucuns n'hésitent pas à le soupçonner de préparer un gisement de voix en prévision d'élections, peut-être la présidentielle de 2007. Cinq millions de musulmans, pour la plupart Français, constituent en effet un contingent fort convoité. Le ministre de l'Intérieur a choisi de faire entrer la tendance intégriste dans le jeu “pour mieux la contrôler”, dit-il. Cela nous rappelle ceux qui, en Algérie, avaient décidé de donner une existence légale aux partis islamistes pour les mêmes motifs. On sait ce qu'il est advenu depuis. Une des versions très conservatrices de l'islamisme, le wahhabisme par exemple, assure sa promotion par la Ligue islamique qui finance plusieurs dizaines d'organisations dans le monde. Ladite ligue, présente dans de nombreuses associations françaises, est en quelque sorte représentée dans le tout nouveau Conseil français du culte musulman. Des voix autorisées ont tiré la sonnette d'alarme sur le danger que constitue la présence d'une organisation fondamentaliste admise à siéger au sein du CFCM. Celle du grand mufti de Marseille, Soheïb Bencheikh, n'en est pas la moindre. La question de l'islamisme en France semble devoir se manifester à travers l'unique et dérisoire question du voile. C'est oublier ou ignorer qu'elle se rapporte davantage à la sociologie, voire à l'idéologie. L'initiative de M. Sarkozy, au demeurant audacieuse et louable, a-t-elle pris en compte tous les aspects ? H. S. (*) Ancien député à l'APN