La décision du procureur de la CPI de demander l'inculpation et l'arrestation du président soudanais fait débat et elle est diversement appréciée. Khartoum menace, l'Onu craint pour son personnel sur place, la Ligue arabe crie au loup et d'autres, à l'instar de Pékin, semblent davantage s'inquiéter pour leurs intérêts économiques. Malgré l'onde de choc de la décision, Omar El-Bachir est encore loin des juges du CPI, au vu des embûches politiques, diplomatiques et juridiques qui s'annoncent. Que vaut le mandat d'arrêt contre El-Bachir, au-delà de sa symbolique ? Les réactions continuent d'affluer après la première inculpation pour génocide d'un chef d'Etat en exercice. La Ligue arabe est virulente, les Ong sont partagées entre leur peur des conséquences pour les déplacés et leur satisfaction de voir la justice internationale à l'œuvre. Le procureur de la CPI, Luis Moreno Ocampo, est lui-même revenu sur les chances d'aboutir de son geste spectaculaire. Mais dispose-t-il de preuves sur la participation personnelle du chef de l'Etat à la mise en place de la campagne de destruction qui a balayé l'ouest du Soudan ? Le procureur devrait apporter la preuve de l'existence d'un plan d'extermination établie par le gouvernement soudanais. Ocampo se défend d'agir non pas sur la propre initiative du tribunal mais sur la saisine du Conseil de sécurité qui a décidé d'enquêter sur ce qui se passe au Darfour, en mars 2005. “J'ai réussi à rassembler les preuves que demandait la Commission internationale de l'Onu pour prouver qu'il y a génocide, même dans les camps de réfugiés”, a-t-il déclaré pour affirmer que “si les juges décident de poursuivre le président El-Bachir, ce sera la responsabilité du gouvernement soudanais de l'arrêter, s'il refuse, ce sera au Conseil de sécurité de l'Onu de mettre en œuvre le mandat d'arrêt”. Après avoir présenté ses éléments de preuve aux juges, le procureur a soumis aux juges du tribunal une demande de mandat d'arrêt contre Omar El-Bachir pour génocide, crime contre l'humanité et crimes de guerre, et il table sur une décision d'ici deux à trois mois, le temps pour les juges d'analyser les preuves et d'accepter la demande, la rejeter ou demander plus d'éléments. Le Soudan a immédiatement rejeté ces accusations et a menacé d'une réaction si l'affaire était portée devant les Nations unies. Il reste qu'il est tout à fait improbable que le mandat d'arrêt soit exécuté à court terme, ou qu'El-Bachir soit arrêté dans un autre pays, car comme les autres tribunaux internationaux, la CPI n'a pas de force de police pour exécuter ses mandats et dépend de la coopération des Etats. Néanmoins, en inscrivant l'affaire, la CPI pense délégitimer le président soudanais. Et de rappeler que l'annonce de l'inculpation par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL) du président libérien Charles Taylor, au premier jour d'un sommet de pourparlers de paix au Ghana, avait déchaîné les critiques et même mis en colère Kofi Annan, alors secrétaire général de l'ONU. Si l'inculpation est confirmée, cela ne garantira pas pour autant l'arrestation d'Omar El-Bachir. Le traité de Rome, qui a donné naissance à la CPI, ne prévoit en effet aucun instrument de coercition pour faire appliquer les décisions de la Cour. Selon toute vraisemblance, si inculpation il y a, elle aura pour effet, au mieux, de contraindre le président soudanais à rester sur son territoire. Et en cas de déplacement à l'étranger, peu d'analystes imaginent la police d'un Etat procéder à son arrestation. Enfin, ultime embûche : le Conseil de sécurité des Nations unies. Celui-ci peut en effet demander une suspension des poursuites pour une durée d'un an renouvelable. Or, la Chine et la Russie, partenaires privilégiés de Khartoum, y disposent d'un droit de veto. D. Bouatta