Si l'administration pénitentiaire s'octroie comme responsabilité de protéger la société en assurant la punition du condamné et en favorisant sa correction comportementale, elle est aussi tenue de garantir sa réinsertion dans l'environnement qui l'attend au terme de son incarcération. Une telle prise de conscience a été moralisée par les hautes instances pénitentiaires du pays, qui ont pensé, ces dernières années, à des réformes allant dans le sens de réhabiliter le détenu avec son statut réel d'humain à part entière tout en bannissant cette idée qui faisait de lui un éternel marginalisé. Dans ce contexte, les responsables de l'établissement pénitentiaire de Tiaret, où les ambitions ont nettement évolué avec le temps, ont eu l'idée forte de soutenir adéquatement la mise en place d'une feuille de route ayant pour objectif de faciliter la réinsertion des détenus qui retrouvent alors un espoir de s'adapter à la vie normale en société, voire une réintégration future dans leur environnement civil. “Nul ne doit oublier que la période d'incarcération alanguit le prisonnier et ce dénuement accablant porte atteinte à sa vulnérabilité sociale et professionnelle. On sait enfin qu'une libération sans ressources ni connaissances augmente la probabilité de récidiver et retourner derrière les barreaux”, affirmera le directeur de l'établissement pénitentiaire de Tiaret, M. Bettahar. Enchaînant, ce dernier estime judicieuse l'initiative à laquelle ont adhéré les pouvoirs compétents du pays qui ont fait preuve de bienveillance et de magnanimité en redonnant droit de cité à la lutte contre la misère carcérale par le biais de ces nouvelles réformes. Il ajoutera que “tout en soutenant la légitimité de vouloir protéger la société contre un climat délictuel, nous sommes tous interpellés quant à l'amélioration des chances de réinsertion des détenus dans la société”. L'enseignement et la formation professionnel en prison Dans la lignée, M. Bettahar maintient qu'à un niveau ou à un autre, il est reconnu, aujourd'hui, qu'une prise en charge appropriée, notamment sur le volet de l'éducation, peut contribuer à atteindre cet objectif dans la mesure où le détenu, une fois un diplôme en main, aura plus de chance de se frayer une place dans cette société. Parlant de l'établissement pénitentiaire de Tiaret, il affirmera qu'en collaboration avec les responsables du secteur de l'éducation et ceux de la formation professionnelle, l'aubaine a été offerte, durant l'année scolaire écoulée, à 110 détenus de suivre des cours en fonction des programmes en vigueur, à savoir 84 pour le cycle moyen qui a connu une admission de 79,76% et 26 pour le secondaire qui est couronné par un taux de 82,72% de réussite. Dans ce sens, on note que 10 détenus sur les 11 présents à l'examen ont décroché le baccalauréat alors que 11 autres ont réussi aux épreuves du BEM qui ont vu la participation de 22 candidats. S'agissant des cours dispensés aux analphabètes, l'établissement a enregistré l'adhésion de 30 détenus dont 6 femmes et 4 mineurs. Toutefois, une collation, première du genre, a été organisée, en présence des cadres du secteur et des responsables locaux, au profit des lauréats. Dans le cadre de la formation professionnelle, cet établissement qui disposait en 2007 de trois spécialités pour une trentaine de détenus, a noté un net affermissement cette année pour atteindre sept spécialités au profit de 155 détenus, à savoir la plomberie, la soudure, la peinture, la couture (pour les femmes), le chauffage et l'informatique. En matière d'équipements favorisant l'épanouissement des détenus, l'établissement a aménagé une salle de classe, une bibliothèque contenant des ouvrages destinés aux différents paliers de l'enseignement, une salle de musculation ainsi qu'une microthèque (une chaîne de télévision restreinte, avec pour logo “Chaîne de l'espoir”, où sont diffusés des films d'action, des documentaires et autres programmes de sport, de variété et émissions religieuses) au profit des 700 détenus que compte cette structure. Cette dernière est dirigée par M. Hammou, un cadre de l'établissement, qui en est l'initiateur après qu'il eut le projet en tête depuis l'année 1998 pour le concrétiser avec les moyens de bord, selon lui, après avoir reçu des formations dans ce sens. Amine, un jeune détenu de 28 ans qui a décroché deux fois son bac en prison, l'accompagne dans sa mission avec abnégation et un esprit créateur. D'ailleurs, lors de notre virée dans cet établissement, il nous a exhibé un modèle d'une revue trimestrielle mise en place et qui sera diffusée très prochainement. “Si l'on veut replacer les détenus dans la société en éveillant chez eux une conversion réelle, il faudrait aussi les rendre plus autonomes et les rendre plus confiants en eux-mêmes”, maintient le directeur de l'établissement qui explique que “pour rapprocher les différentes diligences de l'incarcération, il a été communément préconisé de convertir la politique carcérale”. Dans ce sillage, ce dernier insiste sur les avantages et privilèges inscrits au profit des éléments qui font montre d'une bonne conduite. Ces privilèges peuvent aller du parloir rapproché à la permission de quelques jours au sein de la famille ou une liberté conditionnelle. “Nous avons même conçu des cabines téléphoniques au profit des détenus disciplinés qui pourront, dès lors que le feu vert de leur mise en service est avalisé par la tutelle, parler aisément avec leurs proches”, ajoutera M. Bettahar. Toutefois, ce dernier a mis en relief les différentes mesures entérinées dans le cadre de l'humanisation du pénitencier à travers plusieurs actions relatives au réaménagement de la structure, au perfectionnement des conditions de vie et à la promotion de l'activité éducative. Ce sont d'ailleurs d'incontestables chefs-d'œuvre que plusieurs détenus nous ont laissés voir tant sur les murs de l'établissement, au niveau de la microthèque que dans la salle des cours. La prise en charge “humanisée” Conscient que les détenus sont après tout des êtres humains qui ont ce droit inaliénable à la santé, le directeur nous fait savoir que médecins, dentistes, pharmaciens, psychologues et assistante sociale, tous sont journellement disponibles au sein de l'établissement où, en dépit de l'exiguïté, sachant que la structure date de l'ère coloniale, le cadre de vie semble en nette amélioration. Il s'agit d'un ingrédient qui montre une pointe dans le respect de la vie et pour la dignité que la société doit à chacun, y compris aux prisonniers. En plus des activités de loisirs, à savoir jeux d'échecs, télévision, lecture…, les détenus ont droit à une douche à chaque fois que l'eau coule. Afin d'éviter tout risque de contamination du sida, ces derniers sont autorisés à faire usage d'un rasoir jetable pour se raser. En somme, il y a lieu de préciser que les détenus jouissent d'une certaine liberté, à condition de faire preuve de sérieux, et d'une ouverture possible sur le monde extérieur. Dans ce sens, Mourad, un jeune informaticien en détention, n'a pas omis de remercier le quotidien Liberté qui a eu l'idée de programmer cette virée en prison. “Aujourd'hui, en m'entretenant avec vous, j'oublie en partie que je suis incarcéré dans la mesure où, avec l'aide du directeur de l'établissement que je remercie aussi, je me trouve avec quelqu'un d'inhabituel avec lequel je m'exprime librement”, affirmera-t-il à notre adresse en nous demandant de lui envoyer une copie du journal quand l'article paraîtra. Pour sa part, Mourad, un autre détenu, dévoilera toute la sérénité retrouvée en parlant aisément avec un homme venu de l'extérieur. “Grâce à l'humanisme et la compréhension du staff de cet établissement, je vous dirai que je ne me sens pas par moment en état de détention vu que nous sommes traités de la manière la plus correcte”, avoue-t-il, les yeux larmoyants d'émotion. “Je sais que la prison est en fait une parenthèse dans la vie qui, contrairement à l'écriture, ne dure pas quelques secondes mais parfois des années, et qui coupe ensuite le détenu de tout rapport extérieur, mais avec mon entretien avec vous, je mets de côté cette idée et je reprends confiance en moi”, tenait à nous affirmer cet homme d'un certain âge qui croit en le destin et assume les conséquences d'une faute commise. Ce dernier, par ses capacités en langue française, donne des cours de langue à ses codétenus. Voulant nous dire quelque chose, un autre détenu, dessinateur de vocation surnommé Picasso, est invité par le directeur à venir s'asseoir à nos côtés. “J'espère que vous avez pris le soin de regarder tous ces dessins que j'ai réalisés sur les murs… Tous les moyens me sont offerts pour m'appliquer dans cet art que j'adore et je reconnais que je ne suis jamais fixé sur ce que je dois dessiner dans la mesure où les responsables m'ont toujours laissé à ma libre inspiration”, disait-il. Par ailleurs, en marge de notre virée, pour une visite guidée, à l'établissement pénitentiaire de Tiaret, nous avons jugé utile de prendre quelques témoignages à l'extérieur. “À ma sortie de prison, après quelques années de détention, tout était à reconstruire. J'ai dû regagner la confiance de ma famille et de mes amis en premier lieu et grâce à mon père, imposant et plein de vie, et le perfectionnement intellectuel dont j'ai bénéficié durant mon incarcération, je suis arrivé à me replacer, trouver un job et me marier”, nous dira Madjid, le sourire en coin. Par ailleurs, un psychologue que nous avons sollicité nous livrera son impression en déclarant : “Au lieu de trop gloser sur la réinsertion des personnes détenues, il serait plus judicieux de parler de l'insertion d'abord, car la plupart des incarcérés ne jouissaient d‘aucune prise en charge socioprofessionnelle avant de commettre le délit qui les a menés derrière les barreaux. Généralement, on trouve que ces derniers ont souffert de quelque chose avant leur incarcération, voire des défections éducatives, affectives et de carences psychosociales qui ne leur ont pas permis d'avoir une traversée normale de la vie”, avait-il conclu en insistant sur le fait qu'il s'agit d'un problème qui doit concerner toute la société. R. S.