Selon un scénario bien rodé à Nouakchott, la radio et la télévision nationales mauritaniennes avaient cessé d'émettre tôt dans la matinée d'hier, après que des militaires en eurent chassé le personnel. Des soldats patrouillaient dans la capitale, occupant les places et édifices stratégiques, mais dans le calme. Aucun coup de feu ni barrage n'a été signalé à Nouakchott, ni même aux alentours du palais présidentiel. Le Président et ses proches, selon sa fille, auraient été emmenés dans un lieu inconnu. Amal Mint Cheikh Abdallahi devait confirmer l'enlèvement de son père dans un appel en live dans une radio française, à partir du palais présidentiel où résidaient le Président et sa famille. “Le Président vient d'être arrêté par un commando de militaires, qui sont venus le chercher, l'arrêter ici et l'emmener”, a-t-elle déclaré, précisant que la Présidence était toujours occupée par des hommes en armes et n'avoir pas entendu de coups de feu lors de l'opération. Tout de suite après, le ministère français des Affaires étrangères devait à son tour confirmer le coup d'?tat. “Un groupe de généraux s'était emparé du pouvoir en Mauritanie, alors que des mouvements de troupes avaient lieu dans la capitale.” En somme, un coup d'?tat soft, sans effusion de sang. Ce qui renseigne sur la minutie de l'opération, mais surtout sur le fait qu'il ne s'est trouvé personne pour s'opposer à l'intervention de l'armée qui a organisé l'éviction d'un chef d'?tat, pourtant premier Président démocratiquement élu en mars 2007, depuis l'indépendance du pays en 1960. En attendant de voir se démêler les écheveaux de cet énième coup d'?tat militaire en Mauritanie, il faut savoir que le pays traversait une crise politique depuis pratiquement la brutale et spectaculaire irruption du terrorisme islamiste lorsque des touristes français furent assassinés dans le nord de la capitale. Ce n'est qu'à la mi-juillet que le Premier ministre Yahia Ahmed El-Waghef avait pu former un nouveau gouvernement. Il pensait avoir mis fin à deux semaines de crise politique, son prédécesseur ayant démissionné le 3 juillet sous la menace d'une motion de censure au Parlement ; un Parlement, il convient de le souligner, assez pluraliste. Selon les observateurs, c'est un changement à la tête de l'armée qui aurait mis le feu aux poudres. Le président mauritanien devait procéder hier, le jour de sa destitution, à des changements à la tête de l'armée, de la gendarmerie et de la Garde nationale, marqués par le départ de généraux accusés d'être derrière la crise politique. Un communiqué a même été lu à la radio nationale. Le colonel Abderrahmane Ould Boubacar a été nommé chef d'état-major de l'armée et le colonel Mohamed Ahmed Ould Ismaïl, chef d'état-major particulier du président mauritanien. Ces deux colonels devaient remplacer respectivement les généraux Ould Cheikh Mohamed Ahmed et Mohamed Ould Abdel Aziz, deux membres du Conseil militaire de transition qui avaient conduit de 2005 à 2007 la transition démocratique en Mauritanie. Les deux généraux avaient joué un rôle de premier plan dans la destitution en 2005 du président Maaouiya Ould Taya, qui assistait aux obsèques du roi Fahd d'Arabie Saoudite à Riyad. Le Président élu démocratiquement aurait accusé les deux généraux d'être derrière la fronde des députés et sénateurs qui ont claqué la porte du parti au pouvoir lundi. Un groupe de 25 députés et 23 sénateurs avaient annoncé lundi leur démission collective du Pacte national pour la démocratie et le développement (PNDD), la formation présidentielle. Une chose est sûre, la perspective d'une ère pétrolière, qui doit ranger la Mauritanie parmi les producteurs d'or noir, n'a pas manqué de durcir sinon de réveiller des ambitions. L'Union africaine (UA) a condamné le coup d'?tat en Mauritanie et décidé de dépêcher à Nouakchott le commissaire à la paix et à la sécurité, l'ambassadeur Ramtane Lamamra. La Commission européenne a, de son côté, condamné le coup d'?tat militaire en Mauritanie et pourrait suspendre son aide financière à ce pays, a déclaré le commissaire européen au Développement Louis Michel. D. Bouatta