L'initiative de l'hommage rendu, hier, à Mohand Hakoun, dit Moh Ouali, chanteur “flamboyant” de l'exil, revient à l'association Yemma Akarma d'Iflissen, en Kabylie maritime. “Ken drun-a nek dafinmi,lefraq ur nbni fallas” (Nous sommes loin d'un de l'autre, la séparation nous ne l'attendons pourtant pas). C'est la première composition faite par Mohand Hakoun, en 1959 à la Bastille. Un texte qui raconte avec une certaine douleur, le choc de l'exil en pleine guerre de Libération et qu'il n'a pas enregistré à ce jour “Idja-yi ur ganegh duhan ur sâagh hed a iwali (Il m'a laissé sans sommeil, n'ayant personne comme protecteur), rétorque-t-il empruntant sa voix à la femme pour qui l'exil est une douleur insupportable. Né en 1934 dans la Kabylie maritime, Mohand Hakoun a connu très jeune les affres de l'exil. Quand son paternel l'emmène à Paris, un jour de juillet de l'année 1952, il ne savait pas qu'il allait embrasser une carrière artistique en côtoyant les grands artistes issus de la communauté émigrée à Paris. En 1956, il s'achète sa première mandoline et, dès lors, les notes de musique n'auront plus aucun secret pour l'enfant d'Iflissen. Il s'exercera comme dans un observatoire de musique à tel point qu'il ne tardera pas à devenir un véritable virtuose en la matière. En 1957, il fréquente assidûment les cafés parisiens où il côtoie Hsen Mezani, Dahmane El-Harrachi, Belaïd Abchiche, Cheikh Arab Bouzgaren, El-Hasnaoui, Hnifa, Arezki Oultache, Allaoua Zerrouki et d'autres encore. Son lieu de prédilection reste incontestablement la rue de Paris à Montreuil. Avec Arezki Oultache, il anime les cafés du 14e arrondissement et d'Aubervilliers. Très souvent, lorsque la bière coule à flots, on entend des voix rouées par l'alcool commander une tournée générale, suscitée sans doute par la poésie de Dda Moh, une poésie qui interpelle la communauté kabyle sur les affres de l'exil. Durant son séjour en Hexagone qui a duré une douzaine d'années, outre son activité artistique, Moh Ouali a également travaillé en tant qu'ouvrier dans pas moins de 18 usines. Il a notamment travaillé à la charcuterie de la Villette. En 1964, il rentre définitivement au pays. En Kabylie, Dda Moh n'oublie pas son violon d'Ingres : les fêtes de mariage qu'il animait en compagnie de Oultache, son complice. Ceci ne l'a pas empêché, par ailleurs, de faire carrière dans la vie active, c'est ainsi qu'il a travaillé durant 24 ans à la Snic de Rouiba. Mohand Hakoun garde un mauvais souvenir de son passage à la Radio algérienne en 1969. Une mémorable polémique a eu lieu entre lui et Kamel Hammadi, suite à une chanson sur la “Sata”, une ancienne marque de vieux bus. En 1985, date de l'apparition des premier DJ, Moh Ouali décide d'arrêter définitivement la chanson. ”Il n'y a que des perroquets qui squattent l'espace musical kabyle”, regrette-t-il. Mais le bras droit de Dahmane El-Harrachi, après plus de deux décennies, veut visiblement reprendre du service. Avec un patrimoine de trente chansons, dont il en a enregistré uniquement deux dans un seul disque, Moh Ouali compte retourner aux studios. “J'irai bientôt à Alger à la recherche de grands musiciens du chaâbi et me remettre ainsi au travail”, promet-il. Il estime qu'il peut encore donner le meilleur de lui-même. Pour convaincre, il exhibe sa carte de la Sacem (Société des auteurs compositeurs et éditeurs de musique), de Neuilly. La carte porte le numéro 00054427388. C'est à cet homme écorché vif que l'association Yemma Akerma de son village Tizi Temlelt, à Tigzirt au nord de Tizi Ouzou a rendu, hier, un hommage mérité. Une manifestation qui s'est déroulée en présence de plusieurs artistes kabyles et qui a permis à Dda Moh de “revivre” les souvenirs anciens de l'époque où il taquinait la muse dans les boulevards parisiens. Yahia Arkat