Le président français, qui refuse toujours la “repentance” à l'égard de l'Algérie, est en tout cas appelé désormais à tenir compte de l'exemple italien lorsqu'il aura à évoquer le passé colonial de la France en Algérie. Voilà qui devrait sans doute donner du grain à moudre à ceux qui plaident, de part et d'autre de la Méditerranée, depuis quelques années déjà, pour solder le contentieux historique entre l'Algérie et la France : en visite en Libye samedi, le Chef du gouvernement italien, Silvio Berlusconi, “El Cavaliere”, comme le surnomment les médias italiens, a présenté ses excuses solennelles au peuple libyen et s'est engagé à verser 25 milliards de dollars au titre de dédommagement pour la période coloniale. “L'accord portera sur un montant de 200 millions de dollars par an durant les 25 prochaines années sous forme d'investissements dans des projets d'infrastructures en Libye”, a indiqué Berlusconi dont les propos ont été rapportés par des agences de presse. “Il est de mon devoir, en tant que Chef du gouvernement, de vous exprimer au nom du peuple italien notre regret et nos excuses pour les blessures profondes que nous vous avons causées”, a encore ajouté le Chef du gouvernement italien, peu de temps avant la signature de l'accord qui devrait, théoriquement, “sceller la réconciliation” entre les deux peuples libyen et italien et mettre fin à 40 ans de désaccord. Mais aussi réparer des injustices et effacer les stigmates d'une période appelée à meubler les pages noires de l'Histoire. Ainsi, des projets d'investissement, des bourses au profit d'étudiants libyens ainsi que des pensions aux mutilés sont envisagés. Ancienne colonie italienne avant de devenir sous protectorat britannique en 1943, la Libye a connu, comme de nombreux pays ayant souffert de la colonisation, des périodes tragiques avec leur lot de déportés, de mutilés et d'exécutions sommaires. Loin d'être fortuite, cette “repentance” des Italiens est, cependant, motivée par des considérations d'ordre économique et stratégique. L'Italie entend obtenir, en contrepartie de son geste, une coopération de la Libye pour la maîtrise de l'immigration clandestine dont les côtes italiennes en sont devenues, ces dernières années, un point de chute et un lieu de prédilection. Sur un autre plan, l'Italie, consciente des enjeux liés aux hydrocarbures, veut s'assurer une sécurité énergétique — elle est déjà liée à l'Algérie par un accord sur le gaz —, d'autant que la Russie, engluée dans des tensions avec les anciennes républiques de l'Union soviétique, est loin de constituer un partenaire sûr. Mais au-delà de ces aspects, le geste de Berlusconi ne se décline-t-il pas comme une pierre dans le jardin de Nicolas Sarkozy ? Le président français qui refuse toujours la “repentance” à l'égard de l'Algérie, un concept religieux, considère-t-il, est en tout cas appelé désormais à tenir compte de l'exemple italien lorsqu'il aura à évoquer le passé colonial de la France en Algérie. Comme pour le génocide arménien, des voix, nombreuses, seront toujours là pour le lui rappeler. À l'évidence, des progrès ont été accomplis ces dernières années. En mai dernier, l'ex-ambassadeur de France à Alger, Bernard Bajolet, aujourd'hui coordinateur des services de renseignements à l'Elysée, avait parlé “d'épouvantables massacres” en évoquant les évènements du 8 Mai 45, lors d'une conférence à Guelma. “Aussi dur que soient les faits, la France n'entend pas, n'entend plus, les occulter. Le temps de la dénégation est terminé”, avait-il dit. Hubert Colin de Verdière, son prédécesseur au poste, avait parlé de “tragédie inexcusable”. À Constantine, en décembre 2007, le président Sarkozy a, lui, estimé — une évolution dans le discours — que “le système colonial était injuste par nature et il ne pouvait être vécu autrement que comme une entreprise d'asservissement et d'exploitation”. “De part et d'autre, il y a eu des douleurs, des souffrances et des peines”, a-t-il encore ajouté, comme pour atténuer un peu le propos. Mais cette évolution dans le discours reste cependant loin du souhait d'Alger qui a exigé “la repentance”, comme préalable à la signature d'un traité d'amitié, aujourd'hui tombé en désuétude. Sarkozy franchira-t-il le Rubicon maintenant que Berlusconi a cassé un tabou ? Pas si sûr pour au moins deux raisons : d'abord, les pesanteurs historiques entre l'Algérie et l'ancienne puissance coloniale sont telles qu'elles exigent un trésor de volonté politique. Ensuite, le travail des historiens, de nature à qualifier les faits, n'est pas encore arrivé à terme. C'est dire en définitive que le chemin, quand bien même Berlusconi aurait montré la direction, tout comme le Premier ministre australien qui a demandé pardon aux aborigènes, reste encore long. 132 ans d'asservissement, de dépossession, de répression et de déni ne peuvent se résumer à quelques poignées de dollars et quelques formules incantatoires. Karim Kebir