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Jeûneurs le jour, baigneurs la nuit
Ces algériens qui investissent les plages après le f'tour
Publié dans Liberté le 14 - 09 - 2008

En famille, en groupe, ils partent à l'assaut des plages après la rupture du jeûne, pour partager un thé, tailler une bavette, taquiner le goujon ou encore pour admirer le ressac de vagues. Le tout dans une ambiance festive et conviviale.
Dimanche 7 septembre. La plage de Sidi-Fredj resplendit sous les lumières lointaines de la ville, du port et des hôtels environnants, à cette heure de la nuit. À 22h, des familles, quelques couples et surtout des jeunes affluent vers cet endroit adouci par les jeux d'ombre et de lumière. Chacun profite, à sa manière, des derniers plaisirs de l'été et des bienfaits de la mer. Certains, pour la plupart des jeunes hommes et des enfants, se baignent ; d'autres préfèrent marcher au bord de l'eau ou favorisent les discussions en groupe. À l'exception de quelques pêcheurs amateurs, rares sont les citoyens venus seuls pour s'imprégner du décor féerique. “Reste ma chérie dans l'eau, sinon tu vas prendre froid”, lance une jeune femme voilée à l'adresse d'une fillette, sortie de l'eau pour jouer sur le sable, avant de susciter l'aide de son mari et de son fils, tous deux assis à ses côtés. Depuis l'arrivée des premières pluies, qui se sont d'ailleurs manifestées la veille, suivies de vent et de coupures d'électricité, la plage a été relativement désertée, à la grande déception des jeunes qui louent des chaises et des tables ou des vendeurs de thé et de cacahuètes. “Depuis le début du Ramadhan, les gens venaient tous les soirs. Beaucoup arrivaient vers les coups de 23h, après la prière des Tarawih, et certains restaient jusqu'à 3h du matin”, raconte le jeune saisonnier chargé de la location des chaises, vêtu d'une tenue décontractée, short et pull. Selon lui, les choses reprendront leur cours normal dès que la chaleur s'imposera de nouveau. “L'été est toujours là et les gens vont refaire leur apparition sur les plages, comme aujourd'hui…”, indique-t-il, en ajoutant : “Il y a des gens qui viennent se baigner dans la journée. Je ne peux pas les empêcher de le faire… Le Bon Dieu est le seul juge.” Aussi optimiste que lui, sur le registre commercial, le vendeur de thé a dû reporter, d'un mois, son retour à Boussaâda, avec l'intention de se faire un peu plus d'argent. Mais, contrairement à son collègue qui s'occupe de la location des parasols, des chaises et des tables, et qui s'adonne à la pêche pendant la journée, il préfère goûter les “délices de l'eau”, se prélasser sur le sable et jouer un peu au ballon, en attendant l'heure de la rupture du jeûne. “Depuis 6 ans, je viens travailler à Sidi-Fredj. Cette année, je suis venu avec deux autres gars du bled et nous avons loué une chambre à Staoueli”, confie-t-il sans donner d'autres détails. Plus d'une heure est déjà passée. De nouvelles personnes investissent la plage de Sidi-Fredj. Les unes s'installent sur des chaises, d'autres s'affairent autour de leur matériel de pêche, se préparent à nager ou poursuivent leur marche, cette fois, les pieds dans l'eau. “Je suis là, mais j'ai un peu de mal à croire que c'est vrai”, avoue un jeune baigneur, en attirant notre attention sur la voiture de gendarmerie, qui est stationnée sous un réverbère, à quelques mètres du rivage.
“Les Algériens sont-ils heureux ?”
Une consœur rencontrée sur la plage avec son fils de deux ans et deux de ses belles-sœurs reconnaît, quant à elle, qu'elle est agréablement surprise de voir des familles, des hommes et des femmes, dans “ce lieu de détente bercé au rythme des vagues”. Des femmes, constatera-t-elle, généralement recouvertes d'un voile ou d'un hidjab et, pour la plupart, des femmes au foyer ou des enseignantes. “On a tendance à se dire qu'il n'y a pas grand-chose à faire après le f'tour. Eh bien, c'est faux. Cette année, le Ramadhan a coïncidé avec la fin de l'été, alors les gens sortent le soir et continuent à profiter de la mer”, dit-elle. La journaliste convient par ailleurs qu'étant résidante dans les environs, elle s'est aventurée jusqu'ici, il y a de cela 3 ou 4 jours, le jour du match entre l'équipe nationale et l'équipe du Sénégal, pour se faire une idée des lieux. Au début, elle a eu des appréhensions, devant le peu d'éclairage sur les lieux et la composante humaine, formée essentiellement par la gent masculine. Elle a fini par se rassurer et prendre goût aux sorties nocturnes, surtout que “la plage est sécurisée”. La même démarche a été adoptée par une famille, venue de Baïnem, que nous avons approchée. Sauf que l'information lui a été livrée par une voisine de palier. “Quand on est véhiculé, il est plus facile de se déplacer jusqu'à Sidi-Fredj après la rupture du jeûne. En fait, il nous arrivait de venir ici, pendant les mois de juillet et août, pour nager et prendre des glaces”, explique la maman. Cette dernière, vêtue d'un hidjab aux couleurs foncées, déclare avoir nagé, à deux reprises, pendant le début du Ramadhan, avec les autres membres de la famille. Ces précisions provoqueront un fou rire général. “Elle ne sait pas nager, mais elle fonce dans l'eau comme pas possible, car elle adore la mer. Au lieu de nous baigner, mes filles et moi, nous sommes obligés de la surveiller de crainte qu'elle perde pied et aussi de peur de perdre notre cordon bleu”, commente l'époux, une fois calmé, en lançant des clins d'œil complices à ses trois adolescentes. Pour ce natif de La Casbah, il est important que les Algériens “jouissent de ce que leur a offert Allah”, y compris les plages. Non loin de cette famille sympathique, on remarque un groupe de Chinois, les uns, installés sur des chaises, discutent avec animation ; les autres, plus exactement un couple, marchent dans l'eau, les pieds nus et le bas des pantalons retroussé. “Je n'ai pas ramené le maillot, sinon je me serai baignée”, soutient la seule femme du groupe, avec un large sourire. Architecte, comme le collègue qui marche à ses côtés, elle affirme qu'elle fait partie des Chinois envoyés par l'Etat, dans le cadre de l'opération de construction. Etant la seule à parler correctement le français, notre interlocutrice, résidant en Algérie depuis trois ans, se réjouit, dit-elle, de “l'ambiance sereine” qui règne sur la plage. Cet avis est partagé par un Libanais, présent sur les lieux avec “des amis algériens”, qui déclare adorer “ces moments nocturnes et si intimes”, ainsi que par un compatriote, qui vit actuellement en France et qui est venu passer son Ramadhan en famille. “Quand je vois ça, je me dis que c'est magnifique, mais je n'arrête pas de me demander si les gens sont vraiment heureux”, témoigne ce dernier. Le jeune homme, âgé de 30 ans, jure ne pas avoir oublié “les pressions”, “les injustices” et “l'exclusion” qui l'ont poussé à prendre le large en 2000. “Je préfère vivre à l'étranger, avec l'étiquette d'étranger que de vivre étranger dans mon pays”, poursuit l'enfant de Staoueli, en reconnaissant par la suite qu'“il y a aussi un sérieux problème de mentalité en Algérie”. Le temps file sans que l'on se rende compte. Minuit est là depuis plusieurs minutes et les gens continuent toujours d'affluer vers la plage de Sidi-Fredj, apportant de nouveaux murmures et provoquant de nouveaux plongeons et des cris de joie.
H. A.


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