Au moment où le monde arabe traverse des bouleversements politiques, sociaux et économiques, où l'Algérie est interpellée pour de véritables réformes démocratiques, condition d'un développement harmonieux et durable face à l'implacable mondialisation, je livre aux lecteurs cette présente contribution datant de 1998 que j'ai jugée nécessaire de ne pas modifier afin que les lecteurs jugent par eux-mêmes. Elle est toujours d'une brûlante actualité, nos gouvernants ne pouvant prétendre entre 2000 et 2011 qu'ils ne savaient pas puisque la presse algérienne s'en est fait un large écho. Elle résulte d'une conférence donnée au Caire (Egypte) lors d'un séminaire international consacré aux réformes dans le monde arabe où j'ai traité, à cette époque, les enjeux politiques et économiques des réformes en Algérie incompréhensibles sans l'analyse de la stratégie des acteurs internes et externes. Cette présente analyse est parue dans la revue financière mondiale anglaise Euro Money, parue à Londres en septembre 1998, que j'ai synthétisée dans un article paru également dans le New York Times (Etats-Unis) en juin 1999. I) Problématique A) Cadre général d'analyse : La refonte de l'Etat, dont l'administration, l'intégration de la sphère informelle, les réformes des systèmes financier, fiscal, douanier et socio-éducatif, les mécanismes nouveaux de la régulation et de la cohésion sociale, l'optimisation de l'effet des dépenses publiques et la nouvelle gestion des infrastructures devant privilégier le BOT, pose la problématique du devenir de l'économie algérienne pour renouer avec la croissance et atténuer, par voie de conséquence, le chômage. L'économie algérienne est une économie actuellement totalement rentière avec plus de 95 % d'exportation provenant de cette ressource éphémère allant vers l'épuisement. La réforme globale est la condition indispensable de la production et des exportations hors hydrocarbures. Encore faudrait-il ne pas être utopique, car cela prendra des années. Ce qui pose fondamentalement la problématique de la sécurité nationale. D'autant plus qu'il n'y pas d'autres solutions pour adapter l'Algérie aux mutations mondiales lorsque l'on sait que des milliards de dollars ont été consacrés à l'assainissement des entreprises publiques sans résultats probants. Dès lors, nous sommes en face de deux démarches qui ont des incidences fondamentalement différentes sur la manière de gérer le dossier des réformes, liant l'efficacité économique (adaptation de l'Algérie à la globalisation de l'économie) à la cohésion sociale par une plus grande équité sans verser dans le populisme, en octroyant des salaires versés sans contrepartie productive, contribuant ainsi à favoriser une croissance négative avec, pour corollaire, le chômage. B) La tendance conservatrice postulant le statu quo avec pour objectif la préservation des intérêts de la rente Les rentiers sont bien là ; ils constituent une force sociale active, et ce n'est pas une simple vue de l'esprit. D'une manière étrange, ils prônent la défense de la République, mais, fait unique dans les annales de l'histoire, sans la démocratie et invoquent un slogan qui n'existe nulle part dans le monde de l'économie de marché étatique spécifiquement algérienne. Aussi, la tendance rentière consiste à gérer le dossier des réformes selon une vision bureaucratique à partir d'injonctions administratives reposant sur des relais administratifs : le bureau, nécessaire dans toute société, mais à la différence des pays développés analysés par Max Weber, étant un facteur bloquant. Cela se traduit objectivement auprès des observateurs nationaux et internationaux par un immobilisme, oubliant que le monde ne nous attend pas, que l'Algérie ne vit pas sur un îlot isolé et que les discours triomphalistes démagogiques sont sources de névrose collective. Car la contrainte du financement interne et externe reste posée malgré la baisse du stock et du principal de la dette et de l'importance des réserves de changes. Des dysfonctionnements ralentissent l'attrait de l'investissement national et celui direct étranger, incontournables pour bouleverser les comportements bureaucratiques rentiers, combler le déficit d'épargne et permettre la relance économique. Le bilan dressé à partir des documents officiels, largement diffusés, montre les limites de cette démarche qui peut conduire à un échec programmé du fait que, pour masquer cet échec, on réalise des replâtrages organisationnels et on invoque la bonne santé financière, résultat de facteurs exogènes et non du travail et de l'intelligence. En fait, cette démarche, sous l'apparence d'un slogan techniciste, sous-tend elle-même une vision politique et économique reposant sur l'ancienne vision culturelle : la nécessité du primat de l'entreprise publique à travers le rôle de l'Etat investisseur et gestionnaire, déformant la pensée keynésienne, dont le relais par la relance de la demande globale (investissement et consommation) à travers le déficit budgétaire ciblé donne le primat aux investisseurs privés dans la réalisation des projets. C) La tendance réformiste : démocratie-économie de marché humanisée Elle consiste à démocratiser la décision économique et politique s'inscrivant dans la mise en place de la démocratie, au sens large, liée à un Etat de droit basé sur la transparence, impliquant l'ensemble des acteurs économiques, politiques et sociaux, réellement et non pas formellement, nécessitant une approche culturelle différente, qui donne la primauté à la demande, c'est-à-dire aux mécanismes du marché qui constituent l'élément régulateur fondamental. Au diktat doit se substituer la concertation et le dialogue permanent entre les différents acteurs concernés par les opérations des réformes en évitant, à tout prix, la segmentation et la centralisation des décisions, produit de toute démarche bureaucratique autoritaire néfaste. Il s'ensuit l'urgence d'avoir une autre reposant sur des objectifs politiques précis et une cohérence dans les actions pilotées par des structures politiques, techniques mais aussi sociales, comme la société civile et les organisations non gouvernementales, tissant ainsi des réseaux décentralisés. Ces structures, souples dans leur organisation et efficaces dans leurs actions, ont pour objectif des réalisations concrètes, loin des discours démobilisateurs s'inscrivant dans le cadre d'une libéralisation à vocation sociale. Ces actions seraient un signe fort de la volonté politique de l'instauration de l'économie de marché et, par là, de l'adhésion tant des citoyens que de la communauté internationale à l'esprit des réformes. L'objectif essentiel est la démocratisation de la gestion de la rente, propriété de toute la collectivité nationale, la dynamisation du secteur privé et l'intégration de la sphère informelle marchande et productive, qu'il s'agit de «dédiaboliser» avec la généralisation des titres de propriété afin de responsabiliser le citoyen algérien. En économie de marché, le rôle fondamental de l'Etat et celui d'un régulateur garant du contrat social. Il importe donc d'identifier les acteurs internes et externes par rapport à ce processus ainsi que leurs relations croisées, du fait que l'Algérie est appelée, à l'avenir, à jouer un rôle déterminant au niveau de la stabilité du Maghreb et de l'ensemble du bassin méditerranéen. (A suivre)