L'attaque contre la résidence du président guinéen Alpha Condé ravive les tensions communautaires, dans un pays pris en otage par son armée et gangrené par la corruption. La Guinée retient son souffle après l'attentat manqué survenu au domicile d'Alpha Condé mardi 19 juillet 2011. Cette attaque à l'arme lourde, qui visait à éliminer le chef de l'Etat guinéen - premier président de l'histoire tourmentée de ce pays à être élu à l'issue d'un scrutin démocratique - fait craindre le retour des vieux démons. La vague d'arrestations opérée chez des militaires proches du capitaine Moussa Dadis Camara, ancien chef de la junte du Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD) qui avait pris le pouvoir à la mort du général Lansana Conté en décembre 2008, et du général Sékouba Konaté, ancien président de la Transition, montre que la Guinée n'en a pas encore tout à fait fini avec les bruits de bottes, et que l'armée guinéenne, véritable «Etat dans l'Etat» depuis le coup d'Etat du général Lansana Conté en 1984, réputée pour son indiscipline et sa brutalité, longtemps choyée, n'entend pas être écartée du jeu politique. Avant l'attaque du domicile présidentiel, la tension était déjà perceptible dans certaines casernes, avec l'arrestation du colonel Moussa Keita, un «dur» très proche de Dadis Camara et ancien secrétaire permanent du CNDD. Or, ce sont deux autres anciens membres redoutés de l'ex-junte, le sulfureux commandant Claude Pivi alias «Coplan» et le colonel Moussa Thiegboro Camara, devenus proches d'Alpha Condé, qui mènent les opérations de «ratissage» contre leurs frères d'armes. D'où la crainte, chez de nombreux observateurs, d'une chasse aux sorcières au sein d'une armée fortement gangrenée par les divisions entre Malinkés, Soussous et Peuls, les trois principales composantes ethniques du pays. Même s'il est encore trop tôt pour se prononcer sur les motivations des assaillants du domicile d'Alpha Condé, il n'en reste pas moins que l'audit commandité par ce dernier sur les marchés publics de l'institution militaire, d'un montant de 1,5 milliard d'euros, n'a pas plu à certains hiérarques de cette «armée mexicaine». En effet, le rapport de la Cour des comptes de Conakry a révélé des surfacturations qui ont permis à plusieurs gradés de se servir royalement. La réforme de l'armée guinéenne, une des priorités du nouveau président, qui va se traduire par une baisse notable de ses effectifs et le redéploiement de plusieurs unités à l'intérieur du pays, n'est pas du goût de tout le monde. «Mortal Kombat» entre Apha Condé et Cellou Dalein Diallo Même s'il a condamné fermement l'attaque contre Condé depuis Dakar où il se trouve, Cellou Dalein Diallo reste dans le collimateur du pouvoir. Le domicile du leader de l'Union des forces démocratiques de la Guinée (UFDG, principal parti d'opposition) a été perquisitionné par des militaires à la recherche de suspects. Entre Alpha Condé et son rival malheureux de la dernière présidentielle, les comptes ne sont toujours pas soldés. Diallo, bien qu'il ait reconnu la victoire de Condé, n'a pas été invité lors de son investiture. Ses partisans ne s'expliquent toujours pas comment leur champion, arrivé largement en tête du premier tour avec 43%, s'est vu souffler la victoire par Condé, qui a fait un bond spectaculaire de 18 à 52% au second tour, après une campagne agressive contre le «péril peul». «Les Peuls ont le cordon de la bourse et le pouvoir économique… Mais pour la quiétude sociale, ils n'ont qu'à se contenter de ça et laisser les autres ethnies se partager le reste. S'ils ont le pouvoir économique et que les autres ethnies se partagent le pouvoir politique, il y aura la stabilité dans ce pays. Dans le cas contraire, la paix ne tiendra pas plus de deux jours». Ces propos tenus récemment par Facinet Touré, médiateur de la République et partisan du président Condé, n'ont fait que raviver les tensions ethniques dans une nation à l'équilibre précaire. Ils traduisent ce que pourrait être l'issue du «mortal kombat» engagé entre Alpha Condé et Cellou Dalein Diallo, dans un pays considéré comme un «scandale géologique» à cause de ses richesses naturelles, mais qui reste l'un des plus pauvres de la planète car miné par la corruption et la mal-gouvernance.