Le MaMa déploie ses cimaises à un groupe de six artistes comptant parmi ceux qui animent la scène artistique depuis les années 1970. Leurs noms ont souvent défrayé la chronique, l'illustrant par une permanente présence et une visibilité récurrente que ce soit au niveau institutionnel ou privé, national et international. D'un professionnalisme rare, d'une habilité à toute épreuve, il n'a de cesse que de portraiturer les gens, ceux du pays profond et surtout les femmes qu'il décline dans toutes les séquences de leur quotidienneté, seules, en conciliabule ou en groupe. Il saisit des instants de vie dans des instantanés picturaux fulgurants, de ces gens du blad (et non du bled, mot francisé qui charrie une désagréable connotation péjorative), racontés dans leur dimension humaine empreinte d'une indicible beauté de la bonté. Des gens faits de chaleur humaine et de proximité. Il ne peint pas des sujets mais des attributs : la simplicité terrienne, l'humilité que dégage l'insoupçonnable et indéfinissable vénusté qui habite ces gens de tous les jours, les invisibles qui nous aveuglent de leur indicible et prégnante poésie. Bourdine est le peintre de la vie, une vie faite d'humaine permanence et d'amour. Il peint en chacun de nous ce qu'on nomme communément l'émotion. Rachid Djemaï : une veine protéiforme C'est à un véritable sampling de ses derniers opus que nous convie Rachid Djemaï. Nous avons dénombré pas moins de 45 œuvres de différentes techniques et de différentes dimensions occupant harmonieusement l'espace dévolu à leur monstration. Y sont proposés des «acryliques sous verre», des «acryliques et infographie», des «émaux sur tôle», des «tôles soudées», de «l'infographie», des «plâtres sur panneaux», de «l'acrylique sur panneaux», de la «laque sur verre couleur émail», du «plâtre sur plexi et lumière», de «la céramique», de «l'acrylique et crayon», de «l'acrylique et feutre»… C'est pour dire le caractère éclectique, polyvalent et protéiforme du langage et de la veine technique de ce touche-à-tout d'une incroyable alacrité qui caracole dans la plupart des manifestations significatives du pays et qui expose souvent dans son atelier soit en solo soit en collectif avec le groupe informel qu'il a initié avec son compère et voisin Moussa Bourdine il y a de cela trois ou quatre ans, groupe ouvert malicieusement baptisé «Les Copains d'abord» et auquel «adhèrent» la plupart des artistes en vue du landerneau artistique algérois. Un talent éclaté dans une multitude d'expressions, de thématiques et de langages. Cette exposition lui a offert l'occasion, en prolégomène, à l'entrée de l'itinéraire de visualisation des cimaises et de leur judicieux «achalandage», d'une évocation nostalgique de ses jeunes années. Il le fait de manière très scolaire à travers un judicieux collage en utilisant une feuille de cahier quadrillé d'écolier où il couche une rédaction «académique» écrite à l'encre violette avec une plume sergent-major, assidûment calligraphiée sans faute d'orthographe, avec deux photos de lui (l'une à 12 ans, l'autre actuelle). Cette œuvre originale et insolite tant par son langage plastique que par son contenu nous apprend qu'il y a de cela 51 ans – en 1960 –, alors qu'il avait une douzaine d'années et alors que le MaMa n'était qu'une grande mais prestigieuse grande surface commerciale dénommée Galeries de France, il avait été lauréat d'un concours de dessin organisé par la radio locale (RTA). La narration nous précise qu'il reçut, en guise de prix, un «vélo bleu métallisé de marque Mercier». Ce collage judicieux nous situe dans la thématique récurrente de la veine «djemaïenne», celle de l'évocation inassouvie qui le catapulte dans le passé dont l'image emblématique omniprésente dans ses œuvres est cette silhouette identitaire de la femme de La Casbah affublée de l'inamovible «haïk» et du précieux «adjar» prolongée de l'inévitable «koffa» (couffin) de la ménagère mère de famille, attribut si caractéristique de sa quotidienneté. Par ailleurs, comment peut-on imaginer une exposition de Djemaï au MaMa sans cette image devenue logotypique de son langage et sans un clin d'œil affable à Momo, ce poète intemporel de la «casbadjité», ce chantre de La Casbah, la Bahdja de notre affection à tous. Le côté anecdotique et émouvant de la plupart des œuvres de cet artiste transcende la culture citadinesque qu'il assume de manière génétique et impunie. A laquelle il ne cesse d'être ataviquement attaché. Nedjaï Mustapha : la dialectique vertigineuse des «X.Torsions» Le dénominateur commun qui revient comme un leitmotiv dans les 12 tableaux de 1,40 m x 1,40 m qui ornent les cimaises réservées aux travaux de Nedjaï est le «concept» de «X. Torsions», jeu de mots et jeu d'esprit auxquels il nous a habitués depuis ses précédents cursus dont nous avons retenu : «ellipses et laps» «chaos», «organique», «mots pour maux», «ar mûr ou armure», «codes barres». Des thématiques qui nous ont, à chaque fois, propulsés sur les versants abruptes d'une dialectique «nedjaïenne» profuse en significations qui côtoie celle déployée par son compère Arezki Larbi depuis le temps où ils cogitaient ensemble à une foisonnante et mystérieuse version revisitée de certains pans de l'art moderne et contemporain. De séquence en séquence, on transite par des expressions ou des mots clés appariés au dénominateur commun «Torsion», des termes aussi ésotériques en apparence que distorsion, jungle, fin-fond, holaucoste, trouble, tension, contorsion, rétorsion, implosion…Tout un vocabulaire crypté qui nécessite une lecture polygonale. Mais le clou, l'événement, l'Objet (avec un grand o), de cette exposition est constitué par une installation gigantesque qui se déploie sur une face entière de l'agora (qui fait toute l'identité du MaMa), dont elle envahit la surface qui fait face à l'entrée principale. Une œuvre, remarquable par ses dimensions (12 m x 7,52 m), qui investit et réinterprète l'espace dans un langage impressionnant de la frontalité, du spectacle, du monumental. Une œuvre lancinante par son caractère hiératique, tutélaire. Les 24 panneaux de 2 m x 1,88 m chacun qui charpentent l'installation sont déclinés en numérique imprimé sur plaque de polypropylène et constituent un puzzle régulier formant un polyptique représentant en trompe-l'œil une superposition de 24 containers revisités par Nedjaï. Chacun des «containers» délivre une flamboyance étymologique tant plastique et esthétique que discursive. Un langage incandescent qui rappelle l'étrangeté de la manière de Jean-Michel Basquia où les formes, les graphes, les mots, les incantations, les tags s'entrechoquent dans un méli-mélo vertigineux, un visuel intempérant d'une grande efficacité jubilatoire. On retrouve dans la quasi-totalité des panneaux la silhouette noire ubiquiste et transversale d'un mystérieux personnage désarticulé, insaisissable, funambulesque, héros improbable et facétieux d'une improbable geste des temps actuels que Nedjaï n'hésite pas à décliner comme un impérieux réceptacle à l'expectoration de la pituite de ses versants abyssaux. Une sorte de discours indigné, parfois ironique d'où jaillissent comme des fusées langagières des expressions d'une prégnante légitimité telles «Walou à l'horizon», «Vous êtes perdus», «Temple muet», «Tâches d'opinion», «I love Algeria», «I love Africa», des paroles qui ne cessent de brasiller dans le tumulte généralisé de cet immense prétoire-agora où l'artiste entonne le staccato véhément et lancinant des vérités qu'il nous assaine. Parmi elles, l'une des plus signifiantes déclame, synthétique : «Il n'y a pas d'art sans vérité». Et dans la profusion des assertions claquemurées dans ce délicieux tohu-bohu esthétique et sémiotique n'oublions pas de citer l'une des plus goûteuses : «Heureux les gens fêlés, ils laissent passer la lumière», assertion pleine d'humour et d'ironie. Au moins ça de gagné, avec le bonheur de relever qu'il y a des artistes qui, dans la grisaille généralisée, enfourchent la lumière. Et nous en indiquent la direction. Oulhaci Mohamed : une chorégraphie spectrale Mohamed Oulhaci accroche une vingtaine d'œuvres numériques sur bâche de 1,80 m x 1,60 m ayant pour thématique le récurrent sujet de la femme. La femme identifiable par son frétillement chorégraphique. Une femme- forme identitairement fondue dans ses attributs allurés. Une femme générique, sans visage, sans signe particulier, une femme informe qui se forme, se déforme et se réforme dans une gracilité graphique et chorégraphique d'une surprenante vitalité. Une femme d'une vaporeuse féminité qui esquisse dans tous les tableaux une joie chromatique pleine de légèreté et de subtilité. Une femme-poésie, une femme-pas de danse ondulante, frivole, joyeuse, émouvante, provocante, sensuelle… Belle ! Belle ! Belle ! Entamant à chaque fois un flirt avec les couleurs sublimées dans une vertigineuse chorégraphie chromatique où les subtilités gestuelles se frôlent, se collent, se décollent, se fondent, se confondent, se chevauchent, s'opposent, se superposent, se juxtaposent. S'imposent au regard émerveillé par l'éclat imprimé au «Ballet Oulhaci de Stidia», du nom d'un village voisin de Mostaganem d'où notre artiste anachorète n'a de cesse, depuis plusieurs décennies, de nous étonner. La conclusion de cette merveilleuse et lancinante exposition hexagonale (et donc A6) ne peut être mieux inspirée que des termes justes et pertinents de Bernard Blistène, directeur des Musées de Marseille, glanés dans un catalogue d'une rétrospective consacrée à Jean-Michel Basquia : «Les toiles parlent toutes les langues, attrapent tous les mots. La parole s'y rythme et s'y diffracte comme autant de tags… Dans la collision du temps, il faut voir la peinture de Basquia et savoir l'écouter». C'est jusqu'au 10 septembre qu'on peut encore le faire au MaMa où des artistes de notre pays se sont mis «A6» pour nous émerveiller. Regardons et écoutons leurs œuvres. (Suite et fin)