Il n'est pas rare de vouloir prolonger ces vacances d'été, si propices aux voyages les plus fous. Ne nous refusons pas ce plaisir d'oublier la rentrée pour nous replonger dans un ouvrage atypique. Ce n'est ni un roman ni un essai. Juste un texte organisé, écrit simplement, dans un style épuré, juste un peu classique. De quoi s'agit-il en fait !? Tout simplement d'un ovni littéraire. Car, en effet, quand mon libraire m'a suggéré la lecture de ce livre, il faut dire que j'ai été guidé par ma vision de ce bonhomme austère à première vue, qui semblait être un haut cadre de l'Etat et je m'étais dit que son livre serait une des énièmes productions écrites qui nous parleraient de prospective, de solution miraculeuse pour sortir l'Algérie de l'impasse, etc. Mais, en fait, il s'agissait comme le titre le précisait de bagouts d'été, déclinés dans une succession de quelques deux cent pages, écrites à compte d'auteur, par un instituteur parti faire du commerce par tradition familiale, dans cette délicieuse ville de Sougueur, voisine de Tiaret propice en effet aux effets de style. Mais dans Bagouts d'été, Djilali Benbrahim, amoureux des lettres et des mots, laisse son inspiration errer dans un joyeux désordre incarné dans une mise en place narrative qui prend le chemin d'une famille typique algérienne, moyenne, lettrée, soit un homme, Chiba, le Chibani ultime, accompagné d'El-Hadja, nom typique donné aux plus de quarante ans dans l'Ouest algérien et de deux rejetons, un garçon, Dindou, petit coquelet arrogant mais aussi attachant et de sa pendante féminine, la charmante et discrète Felloussa. Une famille moyenne, représentative. L'auteur, dans son goût immense pour la lecture, nous accompagnera dans une série lancinante d'aventures lyriques pour nous conter la vie en Algérie à travers quelques histoires bien senties, racontées sur un mode très modeste, quelquefois donneur de leçons, mais non dénué d'un humour bien méditerranéen. Sur une dizaine d'étapes à dimension humaine, Djilali Benbrahim nous écrit un pan entier de l'histoire contemporaine algérienne à travers une famille typique qui part souvent dans ces lignes dans des digressions intelligentes et intelligibles autour d'éléments de la nostalgie des années 1970, paradoxalement bien vécues par les Algériens dans un hommage consacré au défunt président Boumedienne. Entre Chiba, El-Hadja, Dindou et Felloussa se tiendra un dialogue à quatre voix qui sortira ensuite sur un espace plus large. Dans ce texte, l'écrivain se plait à jouer avec les mots et s'en amuse ouvertement dans ce livre édité à compte d'auteur. Les situations sont inspirées de la vie quotidienne. Il y a une forme de mise en abîme des réalités quotidiennes sur un mode quelque peu sarcastique, tout en ironie et en dérision, mais il n'est nul question de se lancer à corps perdu dans des souvenirs épars nostalgiques jusqu'au très redondant : «Avant, c'était mieux, tu sais !» Mais la finesse écrite stimule l'imaginaire dans ces bagouts sympathiques, qui se terminent dans une puissante joute écrite par les quatre protagonistes principaux, qui se livrent à une bataille écrite bien sympathique et font écho à l'incursion des nombreux personnages qui illustrent ce livre. C'est donc là un bel exercice de style, qui pèche de temps à autre par un excès de confiance en donnant quelques leçons au lecteur, ce qui nous éloigne du propos originel. Mais ne faisons pas trop la fine bouche devant cet ouvrage paru déjà l'été dernier et qui reste très digeste à la lecture. Mettons donc du soleil dans nos cœurs et restons encore fixés à nos cocotiers imaginaires pour se délecter des textes de Djilali Benbrahim dans ses Bagouts d'été, en attendant les prochains bagouts d'hiver en cours d'écriture, semble-t-il. A trois cent dinars, le prix ne dépassant pas celui d'une pizza pour un plaisir plus grand, ne boudons pas cet écrivain en devenir qui reste un grand lecteur devant l'Eternel. Jaoudet Gassouma Bagouts d'été, de Djilali Benbrahim, Editions Bounaga,à compte d'auteur