Le président du Cnea (Collège national des experts architectes), Abdelhamid Boudaoud, a annoncé lundi à Alger que l'Algérie ne souffre pas de crise de foncier mais de gestion. «Avec 3 000 000 km2 de terrain, on a que 7 millions de logements et on dit qu'il y a un manque de foncier !» s'est exprimé Abdelhamid Boudaoud lors de la célébration de la Journée mondiale de l'habitat. Selon lui, au mois d'avril 2008, l'ONS a recensé 1 500 000 logements inoccupés et 1 200 000 bâtisses inachevées. «Et cela relève de la mauvaise gestion», assure-t-il. Ce même responsable a ajouté qu'on ne peut aviser une crise de foncier que si les 1 500 communes qui existent à travers le pays font le recensement de leur patrimoine agricole. Car en absence de cette phase, on ne peut prédire quoi que ce soit. Les participants à cette journée, à leur tête Boudaoud, ont admis que la mauvaise observation a résulté en un gâchis important du foncier spécialement au niveau de la capitale. L'administration n'était surtout pas épargnée lors de ce débat. Les intervenants lui ont jeté une grande part de responsabilité en l'accusant d'être l'acteur numéro un de cette défaillance urbaine en faisant la sourde oreille aux experts algériens. Par conséquent, cela a résulté en une centralisation de la population au niveau de la capitale avec 20 000 logements à Aïn El-Benian, 20 000 à Ouled Fayet, 20 000 à Zéralda et 15 000 du côté de Rouiba sans oublier l'implantation de nouvelles facultés, entités et administrations. Pour Boudaoud, on a plus affaire au cachet de l'architecte qu'à celui de l'administration. D'ailleurs, ajoute-il, les projets d'urbanisme sont toujours présentés par un administrateur et non pas par leurs architectes concepteurs. Autre exemple de mauvaise gestion, celui du choix des terres lors de la planification urbaine des années 1970. Les autorités se sont retournées vers le côté Est de la capitale alors que c'était une région fertile détruisant ainsi des hectares de terres agricoles alors que le côté ouest était beaucoup plus favorable. Dans ce sens, les différents intervenants se sont posés la question sur le poids du ministère de l'Agriculture quant à la préservation de ses terres. Pour sa part, le sous directeur de l'organisation foncière au ministère de l'Agriculture, Mohamed Souami, a lancé un appel pour que tout le monde s'implique quant à la préservation de ces terres. «Il faudrait que la terre agricole soit l'affaire de tout le monde, pas seulement du ministère de l'Agriculture ou de l'agriculteur», a-t-il dit. Et d'ajouter : «La terre agricole n'est pas un don de nos parents, c'est plutôt un prêt de nos enfants. On le consomme dans le besoin mais en fait il faudrait faire en sorte de le préserver au maximum.» D'un autre côté, les experts du secteur ont dénoncé l'absence de la maturation des projets et du phénomène «copier coller». Quant au président du collège, il a évoqué le comportement des autorités envers le citoyen et les effets qui peuvent en résulter. Selon lui, en 2011 on prend toujours le citoyen pour un mineur. On ne l'informe de son nouveau lieu d'habitation qu'à la veille de l'opération de relogement. Ce serait tout à fait normal qu'on aperçoive des situations de crise et de tension en retour. Parmi les propositions qui ont été faites lors de ce débat, celle de revoir la politique de délocalisation des citoyens. Les reloger loin de leur lieu de travail n'est toujours pas une solution. Cela en conséquence créera de nouveaux problèmes comme les embouteillages. Aussi, de revoir le choix des matériaux de constructions pour un esprit plus écologique. Il a été proposé également de faire le bilan d'un siècle. Car selon eux, ce qui est en train de se faire,crée des pauvretés chroniques au langage architectural et encourage un urbanisme monofonctionnel. Sous ces faits, le président du collège a rappelé que l'Algérie possède une couverture technique et elle est bien armée de potentiel dont les 12 000 architectes et 400 ingénieurs. Il a appelé à serrer les coudes entre architectes, ingénieurs et experts du domaine pour arracher le flambeau. Abdelkrim Chelghoum : «Nous avons besoin d'un véritable plan Marshall d'urbanisme» «Il faut que les décideurs, prennent l'affaire en main. Nous avons besoin dans ce pays d'un véritable plan Marshall d'urbanisme pour essayer de rattraper le retard», s'est exprimé, Abdelkrim Chelghoum, professeur docteur en géni parasismique et directeur de recherche à l'USTHB en marge de la Journée mondiale de l'habitat. Selon cet expert, le problème dans notre pays est que tout est centralisé au niveau d'un ministère, d'une administration ou au niveau d'un bureau. Donc, tout ce qui ne fait pas partie de l'administration n'est pas associé. A ce titre, il a souligné qu'il n'y a pas de stratégie d'urbanisme en Algérie. Bien au contraire, tout se fait d'une manière irréfléchie alors que pour arriver à faire un travail de professionnel, il faut associer tout le monde notamment les experts architectes et les ingénieurs indépendants. La politique d'urbanisme actuelle n'est pas basée sur une vraie étude. Et «le résultat est bel et bien présent», a-t-il souligné avant de poursuivre : «Il n'y pas une seule adresse à Alger où on peut s'asseoir à l'aise à partir de 18h en famille». Notre interlocuteur a interprété cette situation par un échec lamentable de toute la politique de l'habitat, de l'urbanisme et de l'aménagement dans ce pays. Faute de communication…. La raison pour laquelle l'Algérie est arrivée à cette situation revient au manque de communication et de coordination, présume M. Chelghoum. C'est un véritable problème qui ne cesse de se propager dans les administrations et qui fait que les responsables ne se mettent pas sur la même longueur d'angle ni partagent la même vision. «Tandis que nos responsables regardent dans des directions différentes, explique-t-il, toutes les décisions liées aux problèmes d'urbanisme, d'aménagement régionaux, d'utilisation des sols et les grands projets sont prises conjointement par des commissions nationales pluridisciplinaires dans tous les pays du monde». En effet, dans les autres pays qui se respectent, l'administration est représentée au même titre que les experts indépendants. Par conséquent, elle ne peut pas dicter sa loi parce que le dénominateur commun de toute cette commission est l'intérêt de la ville et du pays. Autrement, cela ne peut pas fonctionner. Le professeur Chelghoum qui est aussi président du Club des risques majeurs a fait rappeler que 85% de la population algérienne est implantée dans la zone nord du pays qui est une frange sismique. Ceci est aussi, précise-t-il, un détail qu'il faut retenir. Imprévisible et non négociable, le séisme a frappé plusieurs villes de la région à savoir, Alger en 1365 et 1673 où il a dépassé les 8 degrés sur l'échelle de Richter, Oran en 1790 et Blida en 1826. C'est un phénomène qui existait et qui continuera à exister dans cette région. Sur ce point, il a appelé à ne pas ignorer les dégâts sérieux que peut provoquer cet aléa qui peut frapper à n'importe quel moment. Les décisions relatives à l'urbanisme sont illogiques Notre interlocuteur a assuré que lui et ses camarades ne cessent de proposer leurs services. Cependant toutes les décisions prises sont contraires à la logique. «Ceci est une tradition politique», présume-t-il. En effet, l'orateur est revenu sur la non-application de la loi 04-05 des risques majeurs. D'après ses dires, ladite loi à laquelle il a participé à rédiger sous la tutelle du ministère de l'Environnement, est une excellente loi mais qui nécessite d'être actualisée. Toutefois, il a relevé la question qu'elle ne soit pas appliquée depuis son élaboration à ce jour. Il y a lieu de rappeler que cette loi prévoit des responsabilités bien précises même pour le P/APC, le chef de daïra et le wali. De ce fait, il a indiqué qu'«elle les oblige à avoir une carte des risques majeurs et une autre pour les risques des sols de leur localité». Par ailleurs, il a tenu à évoquer le cas «inadmissible» de l'implantation, en 2008, de la faculté de médecine au niveau de la localité de Ben Aknoun. Il a affirmé que ladite faculté est construite sur un gisement d'argile et qu'il est impossible que la construction tienne. Ce terrain, il le connaît très bien puisqu'il avait refusé en 1978 l'implantation d'une construction à cet endroit précis. Les responsables de l'époque ont compris le risque et se sont rétractés contrairement à ceux de nos jours. «S'ils ont fait une étude d'impact sur l'environnement, une étude de faisabilité et de concomitance et s'ils avaient pris en compte des principes minimaux sur les risques, ils n'auraient pas implanté cette construction», a-t-il fortement dénoncé. Pour ce qui est de l'attribution des marchés algériens aux entreprises étrangères, l'expert algérien s'est dit inquiet tout en mettant en exergue le fait que ces entreprises travaillent en terrain conquis sans aucun contrôle de la part des autorités algériennes. D'ailleurs, il n'a pas hésité à exposer son doute sur la résistance elle-même de ces bâtisses vis-à-vis des effets sismiques.