Le roman s'ouvre par un poème en vers libres qui préfigurent d'une œuvre touchant à tous les genres : histoires, psychologique, biographique. La narration va au rythme rapide d'un coeur qui égrène un chapelet interminable de faits et évènements d'une guerre absurde. Une balle en tête connote quelque chose de meurtrier dû à un conflit armé entraînant des victimes innocentes ou qu'on a condamnées à mourir sous prétexte qu'elles n'ont pas voulu se ranger du côté des tumeurs. Que de femmes, d'enfants, d'hommes sont morts sans que personne n'ait pu savoir pourquoi ! A part celle de l'engagement, la poésie est en relation d'incompatibilité avec les actes et situations macabres. Elle peut à la rigueur servir à atténuer la douleur de ceux qui subissent les drames. Une balle en tête est écrit en pose en alternance avec une versification libre. Mais c'est une pose poétique. Samira Guebli n'arrive pas à se départir du langage esthétique tant il est ancré en elle. C'est un don et lorsqu'on a été éprouvé, cela coule de source. Un sacré témoignage afin que nul n'oublie Samira Guebli dit tout haut ce que d'autres pensent tout bas. Des romans de ce type, il en faut beaucoup pour que tout le monde se rallie à la cause des sujets, ceux qui, au péril de leur vie, disent toute la vérité ou essaient de remettre la machine sur rails. Parmi eux, Ghozlane, le héros du roman, ciblé par des tueurs. Après avoir reçu 7 balles dont une s'est logée dans la tête, il s'en sort miraculeusement. Triste destin pour ce journaliste de la Casbah, obligé de s'exiler pour ne pas mourir dans son pays. Son drame en a entraîné d'autres, subis par des victimes qui avaient cru vivre et rêver dans un pays qui a les vus naître, eux et tous leurs ancêtres. «Nos corps racontent le supplice : l'injustice, la mort, Zouabri, Flicha, Napoli. Et les autres pervers de leur acabit. J'ai toujours résisté, même face au projet de mon assassinat. J'ai pu, seul, être tué de sept balles. Je me suis relevé, seul, et les ai vaincues. Certes, elles ont traversé mon corps. Elles ont voulu me tuer et c'est moi qui les ai tuées», lit-on à un passage. Plus loin, on relève : «Te contenteras-tu de ces blessures ou en voudrais-tu encore ?» Comme une menace pour quiconque a échappé à la mort, mais qui reste toujours dans le collimateur de ceux qui cherchent à sortir des ténèbres vers la lumière, la Casbah. Destin tragique que celui de ce couple dont l'auteur esquisse le récit pour parler d'une union éphémère ou évoluant dans l'incertitude du lendemain. L'un d'eux écrit dans un journal dans des conditions difficiles : «Quand ses articles entraient à l'imprimerie, ils prenaient un bain de sang. Ses mots visitaient les cimetières et les morts avant de parvenir à ses lecteurs. Ses mots essuyaient les larmes. Les veuves maudissant leur sort funeste, parce que les couteaux de la honte et les balles de l'injustice leur ont ravi le mari, ont rendu leurs enfants orphelins et ouvert la voie à leur perte». La Casbah vue de l'autre côté de la Méditerranée : Partir ailleurs, dans un autre continent sous le prétexte d'être menacé de mort dans son propre pays, celui de ses ancêtres, c'est vivre un autre drame. «Voilà mon indemnité», dit un errant à une patrouille de l'armée coloniale française, en prenant dans ses mains une motte de terre. Et aussi loin que vous alliez dans le monde, le mal du pays vous poursuit. Le personnage principal de ce roman a la nostalgie de sa Casbah natale une fois installé à Paris. Il revoit les ruelles de la vieille médina sous l'angle d'une tragédie menaçant de faire passer de vie à trépas tous ceux qui ne rentrent pas dans les rangs. «Le film des souvenirs défile dans sa tête : La nuit pluvieuse, les chiens, les salauds, les assassins, les balles, les balles ? Cette vie d'exil forcé choisie par ceux qui ont fui leur pays, même si elle est devenue un rêve pour une catégorie, n'est pas à souhaiter. L'auteur nous en parle : «Il n'y a pas pire que d'être accompagné par le chagrin à Paris, il n'y a pas plus effrayant que d'être suivi partout par sa propre ombre, son propre égo.» Marie est la femme que son destin tragique lui a fait rencontrer en chemin. Apparemment, tout semble aller pour le mieux, d'autant plus que ce partenaire inespérément associé à sa vie comme épouse, est médecin et en tant que telle, elle lui extrait la balle qui allait le tuer, la dernière logée dans sa tête, c'est-à-dire la septième qui a inspiré l'auteur pour trouver le titre exact à attribuer au roman. Il montre à celle qui allait le délivrer pour un temps un tableau de la Casbah, en lui disant : «C'est ici que j'ai vu le jour et la mort en même temps. C'est ici que je suis né et c'est ici que j'ai failli perdre la vie.» Pour faire oublier les évènements du présent, on fait des incursions dans le passé, l'histoire de l'Algérie qui remonte à des millénaires en arrière. Mais le dialogue tourne surtout autour du 19e siècle. Cela évoque l'Emir Abdelkader, le 8 Mai 1945, la Guerre de Libération. Que d'actes d'héroïsme du côté algérien, que d'exactions arbitraires, d'oppression injuste du côté français. La Casbah devenue aujourd'hui une cité en ruine et un refuge pour ceux qui tirent des balles sur des cibles précises aujourd'hui, a été un lieu chargé d'une longue histoire dont les Algériens peuvent être fiers. Aujourd'hui, ce sont les attentats kamikazes qui évoquent une ère nouvelle, celle que porte Ghozlane dans son corps, la balle que Marie s'apprête à lui extraire pour qu'il reprenne goût à la vie. Mais comme dans les contes qui se terminent mal, Marie va disparaître elle aussi. Et un beau roman, dans la mesure où il va permettre d'immortaliser ce que les Algériens ont vécu dans la douleur, durant la décennie noire avec les massacres par les balles, les bombes, les assassinats individualisés etc. Le livre est tout de même agréable à lire au vu du style assez bien soigné. Une balle en tête, Samira Guebli Ed. Casbah, 221 pages – 2011