Figure incontournable de la pensée du vingtième siècle aussi bien en France qu'à l'étranger et penseur pluridisciplinaire, Michel Foucault (1926-1984) était à la fois historien des sciences, théoricien de la littérature, libéral, libertaire, figure incontrôlable de la pensée critique des années 1970, pape du structuralisme, intellectuel gauchiste, théoricien de la cause gay, anarchiste, nietzschéen, braudélien, deleuzien... Il était cité dans une pléthore de disciplines : philosophie, sociologie, travail social, anthropologie, psychiatrie, économie, droit, études de genre et post colonial studies, géographie, critique littéraire. Michel Foucault est un homme au visage à multiples facettes : chercheur, penseur, créateur, inventeur, producteur de savoir. Il creusait. Fouillait. Cherchait. Explorait. Découvrait. Avançait lentement. Testait des hypothèses. Doutait de ses résultats. S'arrêtait. Déconstruisait. Creusait encore. Fouillait toujours. Cherchait sans répit. Explorait indéfiniment. Reconstruisait encore et toujours. Une posture qui laisse transparaître l'image d'un penseur travaillant au quotidien. Un homme à la pensée vivante, riche, diverse, multiple et «aux usages étendus», soulignent les auteurs de l'ouvrage collectif et transdisciplinaire que les éditions de l'Herne consacrent à celui qui refusait «l'assignation à une identité stable et la réduction à l'unité rassurante». Vingt sept années après la mort de Michel Foucault, les éditions de l'Herne proposent une immersion dans son atelier. Ce dernier prend l'allure d'un laboratoire, d'un chantier, d'un lieu d'exploration et de recherche active qui renferme l'archive de la recherche foucaldienne et son lot de textes inédits, de notes de travail, de cours, de manuscrits préparatoires, de dossiers de travail. Cette masse documentaire met en lumière «les arts de faire» du philosophe. C'est-à-dire «ses pratiques savantes» de recherche, de lecture, de prise de notes, d'écriture, d'analyse. Montrées pour la première fois dans leur état premier, ces archives permettent de comprendre la manière dont procède la pensée foucaldienne : par avancées, hypothèses et révélations successives. D'autre part, elles contribuent à enrichir les connaissances sur les pratiques intellectuelles de l'auteur d'une «pensée du discontinu» (Judith Revel), qui a inventé une philosophie «attentive aux minorités (et) aux marges». (J. Derrida) Outre les textes écrits par M. Foucault, ce cahier, structuré en sept grandes parties, met en évidence, d'une part, les textes des usagers de la pensée foucaldienne sous la plume de chercheurs, d'étudiants, de collègues, de spécialistes et de tous ceux et celles qui s'approprient les concepts forgés par M. Foucault. Et, d'autre part, «les usages» du philosophe. C'est-à-dire «l'effet-Foucault» ou la manière dont la pensée foucaldienne a produit des effets dans une multitude de disciplines, dans la manière de penser et d'agir, dans les pratiques, les formes d'engagement et les modes de lutte... Cet ouvrage regroupe également des témoignages sous forme d'entretiens menés auprès de personnes ayant connu et côtoyé le philosophe. Les discours de ces témoins-informateurs révèlent le personnage et nous invitent à l'apprécier dans ses multiples facettes. Denys Foucault, qui définit son frère comme un «mentor», «un répétiteur», «un maître», livre des éléments relatifs à l'environnement familial du philosophe, à son éducation, sa scolarité. Il évoque également les rapports qu'il entretenait avec son frère, son père, sa mère. Bien que court, ce récit biographique, qui propose un regard à la fois intérieur et extérieur d'un être proche, permet d'avoir accès à la sphère privée et familiale de l'enfance et de l'adolescence de M. Foucault et de comprendre le contexte dans lequel il a grandi et a évolué avant de devenir un «maître» pour toute une génération. Le témoignage de Daniel Defert nous informe sur le contexte d'une époque foisonnante d'idées et d'innovations intellectuelles qui a influencé et nourri la pensée de M. Foucault. L'un des points importants de cet entretien concerne la manière dont s'est opéré le croisement des disciplines pour M. Foucault. L'influence de son enseignant, Ignace Meyerson (1888-1983), fondateur de la psychologie historique et comparative, est déterminante. C'était également l'époque où la circulation entre philosophie et sciences humaines était importante pour toute une génération. A titre d'exemple, le travail de Jean Pierre Vernant relève de la psychologie historique et d'une histoire de la raison. Les travaux de Duzémil croisent l'histoire grecque et le structuralisme. Par ailleurs, M. Foucault a suivi les cours de Merleau-Ponty sur la phénoménologie à l'Ecole normale supérieure. Ce dernier accordait une place importante à la formation des philosophes et des psychologues. M. Foucault était l'un des premiers à passer une licence en psychologie. Il avait la double habilitation en philosophie et en psychologie et a contribué à créer le premier département de psychanalyse à Vincennes avec le psychanalyste Serge Leclaire (1924-1994). Par ailleurs, D. Defert met en lumière la méthode de travail de M. Foucault. Une démarche qui montre un être qui «pense en lisant et en écrivant...». Bien que connaissant parfaitement les textes de référence en philosophie : Nietzsche, Heidegger, Spinoza, Descartes, Aristote... Il faisait des retours fréquents sur ces écrits. Le témoignage de Danièle Rancière, camarade de lutte de M. Foucault, met l'accent sur le rôle que ce dernier a joué dans la défense du droit à l'information en prison. Pendant l'été 1970 alors que l'Organisation des prisonniers politiques (OPP) organisait une grève de la faim des prisonniers, la Gauche prolétaire a sollicité le soutien et la participation de M. Foucault. Ce dernier a pris part à la lutte de manière indépendante et autonome en créant, en 1971, le Groupe d'information sur les prisons (GIP). Issu du manifeste du 8 février 1971, ce mouvement d'action et d'information, patronné par Jean-Marie Domenach, Pierre Vidal Naquet et M. Foucault, servait de relais entre les prisonniers et l'opinion. Il visait à développer la recherche d'informations sur les conditions pénitentiaires et à assurer leur diffusion. Selon Danielle Rancière, M. Foucault a joué un rôle actif dans la lutte contre «les barreaux du silence» en rédigeant des tracts et en accompagnant parfois les militants aux portes des prisons pour distribuer ces tracts. M. Foucault avait contribué à l'élaboration de questionnaires qu'une équipe indépendante avait pour mission d'introduire dans les prisons afin qu'ils soient complétés par les détenus. Les données recueillies relatives aux conditions de détention, aux brimades, aux violations des droits des prisonniers, à leurs révoltes, à leurs colères devaient servir à la rédaction d'un rapport sur les prisons. L'autre objectif de M. Foucault était de diffuser les questionnaires dans la presse afin de «restituer la parole des détenus de la façon la plus authentique», affirme D. Rancière. Thierry Voelzel, que M. Foucault surnommait «le garçon de vingt ans», parle du rôle déterminant du philosophe pour faire émerger la parole des sans-voix par le travail qu'il faisait sur les prisonniers, les asiles, les immigrés, les homosexuels... Il a permis à ceux qui n'avaient pas la parole de faire entendre leurs voix. C'est ainsi qu'il raconte comment M. Foucault a participé à la création de Gai pied, un hebdomadaire français fondé par Jean Le Bitoux en 1979. Par ailleurs, à la demande de Corriere della Sera, un quotidien italien, il a joué un rôle déterminant dans la production d'un travail intellectuel sur l'actualité en constituant une petite équipe pour mener des enquêtes sur des sujets d'actualité. C'est ainsi qu'il a voyagé en Iran à deux reprises après la révolution iranienne. Lors de sa présence dans ce pays qui vivait une période de recomposition politique, il a accumulé des informations et interviewé des Iraniens. M. Foucault prenait des notes. Puis il en reparlait avec T. Voeltzer qui l'avait accompagné dans ses voyages. Dans un troisième temps, il revoyait les personnes interviewées pour préciser leurs dires. Lorsqu'il revenait à Paris, il rédigeait ses articles. C'est ainsi qu'il a publié plusieurs écrits dans la presse sur la situation politique et l'homosexualité en Iran.
