Que dire de la conjecture actuelle que traverse l'Egypte ? Les observateurs avertis avaient, dès la destitution de Moubarak et la «neutralité » de l'armée, anticipé la stratégie menée par Washington via ses vassaux. La plupart des officiers égyptiens formés par Washington avaient bien appris la «leçon». Or, la poudre aux yeux lancée aux Egyptiens par les militaires qui ont su amorcer un nouveau tournant dans l'orientation du jeu politique vient de se dissiper pour laisser place à une amère réalité, et ce, en dépit de l'euphorie des Frères musulmans après leur succès aux législatives. L'Egypte d'aujourd'hui subit un coup d'Etat militaire annoncé avant même le second tour de l'élection présidentielle. Un coup de boutoir à la prétendue «révolution» qui avait alimenté pendant plus d'une année le rêve de millions d'Egyptiens. Maintenant que l'heure de vérité a sonné au grand jour, la «transition démocratique» soi-disant promue par la junte militaire s'est révélée une simple supercherie. Le Conseil suprême des forces armées (CFSA) vient d'éliminer toutes les institutions qu'il avait initialement créées pour nourrir l'illusion de ladite «transition démocratique». Après que la Cour suprême constitutionnelle a jugé la loi électorale parlementaire d'inconstitutionnelle, le CFSA a dissous le Parlement dominé par les Frères musulmans. La junte a renforcé les mesures de sécurité au Caire et les forces de police et de l'armée se sont emparées vendredi du Parlement en y interdisant l'accès aux députés. La junte a aussi annoncé qu'elle dissoudrait l'Assemblée constituante qui avait été élue mardi par le Parlement. Elle planifie de publier une déclaration constitutionnelle fixant unilatéralement la composition de la nouvelle Assemblée et définissant les pouvoirs du nouveau président. Dans ces conditions, le second tour de l'élection présidentielle entre Ahmed Shafiq, dernier Premier ministre de Moubarak, et Mohammed Morsi, candidat des Frères musulmans, demeure une parodie, et l'armée a clairement l'intention de contrôler les pouvoirs, quels qu'ils soient, du Président. En cas d'élection, l'un ou l'autre candidat serait une figure de proue du CSFA, chargé de défendre les intérêts politiques et économiques de l'armée et de réprimer le moindre mouvement de cette classe qui rêvait d'une vraie «révolution». La junte du CSFA fait ouvertement valoir son plein contrôle de la vie politique égyptienne. Selon certaines sources bien informées, elle est en train de se saisir des pouvoirs législatifs et budgétaires qu'elle avait remis en janvier au Parlement, dominé par les islamistes, et d'assumer la rédaction de la constitution. Un jour seulement avant le coup, la junte avait publié un décret autorisant la police, l'armée et les forces de renseignement de l'Etat à arrêter des civils. Des mesures qui démontrent amplement que cette prétendue «transition démocratique» n'était autre qu'un simple pétard pour escamoter le rôle dominant joué par l'armée dans la défense des privilèges sociaux de son élite dirigeante, en premier lieu celle des généraux égyptiens. Et la «révolution» continue !