Faïza Guène et Fatou Diome font partie de cette poignée d'écrivains réellement littéraires qui ne dédaignent pas le populaire. Leurs premiers romans se sont vendus à plusieurs centaines de milliers d'exemplaires. Très attendus, leurs nouveaux opus qui viennent de paraître ne déçoivent pas. Ils témoignent du chemin parcouru par ces jeunes romancières qui ont su renouveler inspiration et thématiques. Les gens du Balto est le nouveau roman de la Franco-Algérienne Faïza Guène. Le troisième, sous la plume de celle qu'on appelle désormais «la Sagan des banlieues». Une réputation que la jeune romancière (née en 1985, en Seine-Saint-Denis) doit à son premier livre Kiffe-kiffe demain : cette histoire d'une jeune beurette de Livry-Gargan prisonnière d'un ghetto peuplé d'hommes frustes et de femmes au bord de la crise de nerfs, racontée dans un argot plein de sève et d'humour, avait fait souffler il y a quatre ans un vent frais dans le palais vermoulu de la littérature française. Le roman fut un best-seller, vendu à 400 000 exemplaires et traduit en vingt-six langues. Après un second roman (Du rêve pour les oufs, Hachette Littérature 2006) qui a connu un succès plus mitigé, la romancière post-adolescente revient à la charge. Elle livre avec Les gens du Balto le portrait percutant de la France profonde, engoncée dans sa réalité prosaïque et tristement quotidienne. Heureusement qu'il y a les jeunes et leur gouaille créative pour égayer la morosité ambiante Un tenancier assassiné pour un roman aux faux airs de polar Franchement il a une «life» i-nin-té-res-san-te et j'articule exprès pour insister sur le vide intersidéral de sa vie. «My mother» n'en parlons plus...» Ainsi devisent et s'interpellent les jeunes dans cette banlieue où rien ne se passe, jusqu'à ce matin fatidique où l'on découvre, baignant dans son sang, le cadavre du patron du seul bar-tabac de la ville. Il a été sauvagement assassiné de plusieurs coups de couteau. L'un derrière l'autre, les suspects défilent devant les enquêteurs de la gendarmerie. Yéva, «la daronne», mère de famille qui s'habille en mini-jupe et qui, encore belle femme à 50 ans, se fait draguer par les hommes en manque de sensation forte, dont d'ailleurs le tenancier assassiné. Magalie Fournier, «dite la blonde, la traînée ou la meuf de Quetur» qui rêve de s'enfuir aux Etats-Unis. Jacquot le chômeur, accro des jeux télévisés, qui se fait traiter de «vaurien» par sa femme devant leurs enfants... Cette faune haute en couleur n'en est pas moins emblématique de cet arrière-pays pris dans les rets de la médiocrité et de l'ennui. Avec sa construction polyphonique qui permet de donner la parole à tous les suspects, ce roman aux faux airs de polar marque l'entrée de la jeune romancière dans le nu de la vie et dans sa complexité. Faïza Guène est désormais définitivement passée du côté des Guermantes et des grands raconteurs d'histoires qui savent mêler avec talent, dans une vaste symphonie vibrante, les espoirs et les déceptions de toute une communauté et une époque. Une révolte musicale contre la solitude et l'indignité La Sénégalaise Fatou Diome, née à Niodor (Sénégal) en 1968, est pour sa part entrée en littérature en racontant, d'abord dans ses nouvelles (La préférence nationale, Présence Africaine), puis dans son premier roman (Le ventre de l'Atlantique, Anne Carrière, 2004), les heurs et malheurs de ce que le critique universitaire Jacques Chevrier appelle «la migritude». Mais loin de s'enfermer dans cette thématique de la migration africaine en Europe, cette digne héritière de Sembène Ousmane et de Cheikh Hamidou Kane a renouvelé son inspiration dès son second roman, Kétala (Flammarion 2007), construit sur le thème de l'héritage et de l'éparpillement de la mémoire des défunts en Afrique. Inassouvies, nos vies, son nouveau roman, tourne autour des motifs de la vieillesse, de la solidarité entre les générations et de l'inassouvissement. Sa protagoniste, Betty, trentenaire et solitaire, se lie d'amitié avec une voisine octogénaire qui sera bientôt reléguée par ses proches dans une maison de retraite sous des prétextes fallacieux. La rencontre avec Félicité est pour Betty l'occasion de pointer du doigt les douleurs et le désarroi de la vieillesse. Ce roman est un hymne au troisième âge, aux grands-parents que la société occidentale développée, adoratrice de la jeunesse, a tendance à rejeter à la marge et à cacher comme des verrues disgracieuses et inutiles. Ayant été élevée par ses grands-parents en Afrique, l'auteur qui vit aujourd'hui en France est particulièrement sensible au sort fait aux personnes âgées sur son continent d'adoption. Son roman est ainsi un cri de révolte, qui prend aussi des accents poétiques et s'appuie même sur la musique pour faire entendre la douleur de l'inassouvissement et de l'indignité. Les gens du Balto, de Faïza Guène. Hachette Littératures, 180 pages. Inassouvies, nos vies, de Fatou Diome. Editions Flammarion, 272 pages.