Pour parler encore et toujours de cinéma, le prétexte est tout trouvé chez l'ancien et néanmoins célèbre directeur de la cinémathèque d'Alger Boudjema Kareche, inconditionnel du 7e art s'il en est : il vient de publier à compte d'auteur un récit sur la vie et l'œuvre du cinéaste Mohamed Bouamari, sous le titre évocateur de L'héritage du charbonnier, en référence aux titres de deux films différents du réalisateur disparu. Au travers des récits anecdotiques de ses voyages en Algérie et à l'étranger au côté du cinéaste, décédé en 2006, Boudjema Kareche dépeint l'effervescence culturelle dans l'Algérie des années 1970 et met en évidence, par cet l'hommage à l'artiste, les difficultés de la production cinématographique algérienne que l'auteur attribue au mode de gestion de ses différentes structures et à la fermeture progressive des salles obscures. Depuis sa première rencontre avec le réalisateur du film Le Charbonnier (1972) en 1967 à Alger jusqu'à leur rencontre à Aix en Provence (Sud de la France) en pleine tourmente terroriste, en passant par Pékin (Chine) et Ouagadougou (Burkina Faso), Boudjema Kareche dresse le portrait d'un artiste engagé, notamment pour l'émancipation des femmes, et d'un homme féru d'échanges et de conversations utiles, autour de la passion du cinéma, bien sûr. Le parcours artistique de Mohamed Bouamari et les difficultés auxquelles il a dû faire face pour réaliser ses films sont mis en lien avec la situation du cinéma algérien à la fin des années 1960. Et c'est tout l'intérêt du livre. Pour Boudjema Kareche, Bouamari a été, à l'instar d'autres cinéastes, «victime de la nouvelle organisation» du cinéma national, concrétisée par la dissolution en 1967 du Cnc (Centre national du cinéma algérien, créé en 1963). Déchargé de l'exploitation des salles de cinéma, ce dernier ne s'occupait plus que de la production et de la distribution, la mission de la gestion des salles étant désormais confiée aux APC... «La grande erreur fut que l'on attribuât aux A/APC cette exploitation et la gestion des salles de cinéma. Le mal était fait, la mort du cinéma algérien était annoncée. Comment, en effet, confier une activité aussi qualifiée à des non professionnels...», s'interroge l'auteur. Cette nouvelle organisation du cinéma algérien affectera considérablement le travail du réalisateur, tant du point de vue financier que créatif, une situation que l'auteur décrit dans le chapitre «Oran, le doute» relatif à la collaboration avortée entre Bouamari et Kateb Yacine. En effet, la multiplication des structures «pléthores et budgétivores», poursuit l'auteur, fera que «plus aucune ressource n'était perçue et la simple règle indispensable pour la vie du monde du cinéma, ‘'l'argent du cinéma au cinéma'' ne s'appliquait plus chez nous», s'indigne-t-il. C'est dans ce contexte que Bouamari va à Sidi Bel-Abbès pour revoir Kateb Yacine et tenter d'écrire un scénario avec lui. Mais la situation précaire du dramaturge et le lieu de travail «lamentable et inhospitalier», où les deux artistes débutent leur collaboration fera échouer cette dernière. Meurtri par cet échec, Mohamed Bouamari «ne tournera plus de films par la suite» et «sa tentative quelques années plus tard, pour réaliser un film sur l'histoire de Tlemcen avec ses propres et uniques moyens, ne réussira point malheureusement», se désole encore l'auteur du récit. Boudjema Kareche conclut pourtant son récit par une note d'espoir en évoquant la rencontre en 2004 entre Mohamed Bouamari et la documentariste Habiba Djahnine à Tizi Ouzou et la «joie» suscitée chez le cinéaste par ses échanges avec une réalisatrice de la nouvelle génération. Né en en 1941 à Sétif, Mohamed Bouamari a passé sa jeunesse à Lyon (France) avant de revenir en Algérie en 1965. Il travaillera comme assistant réalisateur aux côtés de Mohamed-Lakhdar Hamina et Costa Gavras avant de réaliser Le Charbonnier en 1972, le long métrage qui le fera découvrir. Auteur de quatre longs métrages au total dont L'Héritage (1974) et Le Refus (1982), il réalise également des courts métrages comme Le ciel et les affaires (1967) et APC, Ecole de la démocratie (1978). Né lui aussi en 1941 (à Alger), Boudjema Kareche a été directeur de la cinémathèque d'Alger pendant un quart de siècle (1978 - 2004). Il a publié deux autres ouvrages (Un jour, un film en 2005 et Juste un mot en 2009) ainsi que de nombreuses chroniques cinéma dans des journaux algériens.