Le 6 novembre 2012, Barack Obama a été réélu président des Etats-Unis d'Amérique, un pays où la limite est de deux mandats de cinq ans. Cette présente contribution où j'ai eu à me prononcer à la télévision internationale africaine Africa 24 sur cette élection le 02 novembre 2012 et dans le quotidien algérien L'Expression du 04 novembre 2012 a pour objectif de savoir quelles incidences tant au niveau interne qu'au niveau des relations internationales aura cette réélection. Plus globalement, favorisera-t-elle le dialogue des cultures entre l'Orient et l'Occident comme promis dans son discours du Caire ? Le programme démocrate et le rôle de l'Etat régulateur Le quotidien parisien Le Monde du 1er novembre 2012 avait bien résumé la différence du programme du candidat démocrate Barack Obama par rapport à son adversaire républicain Mitt Romney en titrant : «Au cœur de l'élection américaine, le rôle de l'Etat dans l'économie». Je précise bien que les programmes des deux candidats s'inscrivent dans le cadre d'une économie libérale où les entrepreneurs privés jouent un rôle déterminant dans la croissance économique. Cependant, à la différence des républicains qui s'inscrivent dans le cadre de l'économie néo-classique, le tout-marché avec la déréglementation, les démocrates empruntent certaines propositions néo-keynésiennes, à savoir faire confiance uniquement aux seuls mécanismes du marché, qui conduisent à des effets pervers, d'où l'importance des institutions et du rôle de l'Etat afin de concilier les coûts sociaux et les coûts privés et favoriser une croissance innovante au sein d'une économie ouverte. Comme le montre l'actuelle crise mondiale, le marché a besoin d'être encadré. Aussi, si l'on s'en tient au programme du candidat démocrate, la politique socio-économique repose sur trois facteurs complémentaires. Premièrement, elle doit tenir compte de l'adaptation aux mutations mondiales irréversibles, tout pays ne disposant pas d'autres alternatives que l'adaptation à la mondialisation. Prétendre que la mondialisation aliène le développement du pays et les libertés c'est ignorer une évidence : sans insertion dans l'économie mondiale, la majorité des pays serait bien davantage ballottée par les vents des marchés avec le risque d'une marginalisation croissante. Deuxièmement, le président Barack Obama promet de garantir les grands équilibres macro-économiques, de réduire à l'avenir l'important déficit budgétaire, harmonisé comme le prévoit le programme du candidat avec de nouveaux systèmes de protection sociale qui doivent s'adapter, aller en cohérence et en mouvement s'intégrant à une économie dominée par le consommateur mondial et arbitrée par les marchés financiers. Mais le programme insiste sur le fait qu'une économie qui produit la richesse ne détruise les liens sociaux dans un univers où la plupart des structures d'encadrement (familles, religion, syndicats) sont faibles, rendant urgent de mieux articuler les rôles respectifs et complémentaires de l'Etat et du marché. La société de marché incite naturellement à plus d'efforts et de dynamisme et la solidarité dans la compétition implique de cesser d'exclure sous peine de devenir une société de décadence. Aussi, un des axes du programme démocrate garant de la cohésion sociale est une nouvelle gestion de la sécurité sociale dans la mesure où des millions d'Américains n'ont pas de couverture sociale. Troisièmement, le programme insiste sur la mutation nécessaire des services publics marchands. La conception passée sur une superposition forte entre secteur public, entreprise publique, monopole, activité limitée du territoire national doit faire place à l'efficacité de gestion, à la concurrence des services collectifs. Une nouvelle approche des relations internationales Les Etats-Unis sont la première puissance économique et militaire mondiale, et toute élection de ce pays a forcément des implications stratégiques du point de vue des relations internationales. Le discours prononcé par le président Barack Obama le 19 mai 2011 a été axé sur un changement d'approche des Etats-Unis envers le Moyen-Orient, plaçant fermement son administration du côté des manifestants pour la démocratie annonçant notamment un vaste plan de soutien économique aux pays arabes qui se sont prononcés en faveur d'une évolution démocratique et, au-delà, à tous ceux qui auraient la volonté de promouvoir des règles nouvelles de bonne gouvernance et de liberté d'expression. La secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton, dans une interview en octobre 2012, a rappelé cette constante que «les dictatures à travers la corruption produisent le terrorisme et le fanatisme religieux et que la stratégie des Etats-Unis d'Amérique est de favoriser l'émergence de nouvelles forces sociales démocratiques tout en tenant compte des aspirations des citoyens locaux», s'inscrivant dans la promesse du président américain qui avait promis un programme d'aide destiné aux pays démocratiques issus du «printemps arabe». Ce discours n'a été, en fait, que le prolongement du discours du Caire de juin 2009 où le président américain a ouvert son discours ainsi : «Salam Aleykoum. Je suis venu chercher un nouveau commencement avec le monde musulman. Je sais qu'il y a beaucoup de musulmans et non musulmans qui se demandent si nous pouvons vraiment prendre ce nouveau départ». Et d'ajouter : «C'est la foi en les autres qui m'a amené ici» avant de conclure sur un «God bless you». Pour Barack Obama, les révolutions arabes des peuples qui se soulèvent coïncident avec les idéaux américains, mais la démocratie est l'affaire des peuples eux-mêmes et qui durera dans le temps. Aussi, dans le court terme, il doit tenir compte à la fois des puissants lobbys aux Etats-Unis (l'alliance stratégique avec Israël) et de leurs intérêts stratégiques par la prise en compte des régions stratégiques du Moyen-Orient, du Golfe persique, où leurs intérêts vitaux sont en jeu, réorientant récemment leur stratégie sur le Maghreb dont l'intégration est un enjeu stratégique pour eux, et l'Afrique, notamment avec la concurrence chinoise et les tensions au niveau du Sahel. Pour le dossier du Mali, selon des informations crédibles, il n'existe pas, pour paraphraser les militaires, de divergences stratégiques pour ce dossier avec l'Europe mais certaines divergences tactiques très secondaires. Concernant donc la transition, laissons le temps au temps car l'expérience démocratique en Occident a mis plusieurs siècles à se concrétiser car dépendant des luttes entre les forces sociales réformistes et les forces sociales conservatrices, la transition étant difficile d'autant plus que les pouvoirs dictatoriaux en place ont fait le vide autour d'eux et n'ont pas permis l'émergence de forces politiques réformatrices afin de vouloir être les seuls interlocuteurs de l'Occident. L'hebdomadaire Le Monde diplomatique, dans sa livraison de novembre 2012, montre bien la difficulté des «islamistes à l'épreuve du pouvoir», notamment en Egypte et en Tunisie, montrant que l'expérience turque est une expérience spécifique du fait de sa culture et de sa longue histoire. Favoriser le dialogue des cultures entre l'Orient et l'Occident Ce deuxième mandat d'Obama permettra-t-il de concrétiser les orientations du Caire. Cela ne se réalisara pas demain — il ne faut pas être utopique —, mais dans un avenir proche pour éviter que la religion ne soit utilisée à des fins de tensions entre l'Orient et l'Occident comme arme de guerre fratricide. C'est que les guerres de religion ont fait recette et on a pu, paradoxalement, utiliser ces termes antinomiques de guerre sainte, alors que les Livres saints ont pour fondement l'adhésion, la tolérance et le respect d'autrui. Or, je suis convaincu avec de nombreux intellectuels de différentes sensibilités et nationalités, depuis de longues années, que la symbiose des apports de l'Orient et de l'Occident par le dialogue des cultures — le judaïsme, le christianisme et l'islam étant des religions de tolérance pour ne citer que les grandes religions monothéistes — permettront d'éviter ce choc des civilisations préjudiciable à l'avenir de l'humanité. L'intensification des relations entre l'Orient et l'Occident et la promotion de synergies culturelles, économiques, politiques sont seules à même d'intensifier une coopération pour un développement durable entre le Nord et le Sud, et ce, afin de faire de notre univers un lac de paix où seront bannis l'extrémisme, le terrorisme et la haine, ce qui doit passer par une paix durable au Moyen-Orient, berceau des civilisations, les populations juives et arabes ayant une histoire millénaire de cohabitation pacifique. Il existe des spécificités sociales locales, des anthropologies cultuelles spécifiques dont il convient de tenir compte car source d'enrichissement mutuel permettant de communiquer avec des cultures lointaines à travers des réseaux décentralisés auxquels la société civile (intellectuels, diplomates, opérateurs, médias grâce au rôle important d'Internet) doit jouer une fonction stratégique. C'est que les nouvelles relations internationales fondées sur les relations personnalisées entre chefs d'Etat ont de moins en moins d'effets. Ces réseaux doivent favoriser les liens communicationnels, les aires de liberté dans la mesure où les excès du volontarisme collectif inhibent tout esprit de créativité. Dans ce cadre, il y a lieu d'accorder une attention particulière à l'action éducative de l'homme pensant et créateur devant être à l'avenir le bénéficiaire et l'acteur principal du processus de développement. C'est pourquoi je préconise la création de grands pôles par grands continents (universités et centres de recherche) loin de tout esprit de domination comme moyen de fécondation réciproque des cultures. L'Orient et l'Occident sont deux régions géographiques présentant une expérience millénaire d'ouverture sur la latinité et le monde musulman avec des liens naturels et, dans son ensemble, porte de culture et d'influences anglo-saxonnes et des cultures asiatiques. Il est indispensable que l'Occident développe toutes les actions qui peuvent être mises en œuvre pour réaliser des équilibres souhaitables à l'intérieur de cet ensemble et de favoriser un quadruple objectif solidaire : l'Etat de droit et la démocratie politique, l'économie de marché, la concertation sociale et les échanges culturels par des débats contradictoires d'idées et enfin la mise en œuvre d'affaires communes n'oubliant jamais que les entreprises sont mues par la seule logique du profit et, dans la pratique des affaires, il n'y a pas de sentiments. Dans ce cadre, l'émigration, ciment des liens culturels, peut être la pierre angulaire de la consolidation de cette coopération. Pour cela l'Occident, s'il veut éviter son déclin avec les nouvelles configurations géostratégiques qui s'annoncent avec la percée des pays émergents, notamment au profit de l'Asie et dans un proche avenir de l'Afrique, doit repenser l'actuel système économique mondial en intégrant le défi écologique, la protection de notre environnement afin d'imaginer un nouveau modèle de consommation énergétique. Le système mondial actuel favorise la bipolarisation Nord-Sud, la pauvreté préjudiciable à l'avenir de l'humanité, accélérée d'ailleurs par les gouvernances les plus discutables de la part de certains dirigeants du Sud. En ce début du XXIe siècle, des disparités de niveau de vie criardes font de notre planète un monde particulièrement cruel et dangereusement déséquilibré. L'abondance et l'opulence y côtoient d'une manière absolument insupportable la pauvreté et le dénuement. Faute de relever le défi de lutte contre la pauvreté, la crise mondiale actuelle constitue une menace pour le monde au cours des années à venir. En conclusion, le candidat démocrate a un programme axé sur plus de justice sociale, plus réaliste vis-à-vis des enjeux mondiaux, encore que les axes fondamentaux de la politique étrangère des Etats-Unis soient marqués par leur constance, Obama pouvant infléchir cette tendance, notamment pour une paix durable au Moyen-Orient. Espérons que cette réélection puisse favoriser les relations entre l'Occident et l'Orient, particulièrement le monde musulman et arabe, souvent passionnées pour des raisons de conjoncture, les extrémistes étant fortement minoritaires et souvent instrumentalisés par les forces conservatrices, guidées par la haine, le racisme et la xénophobie. Espérons également que les tensions soient dépassées, notamment sur le plan sécuritaire, le terrorisme étant une menace planétaire, mais qui ne saurait s'assimiler à l'islam, une religion de tolérance. Pour une prospérité partagée, le devenir de l'Orient et de l'Occident est solidaire. Le repli sur soi et l'intolérance seraient préjudiciables à notre prospérité commune et engendreraient d'inéluctables tensions sociales à l'échelle planétaire. Mais, pour chaque nation, le devenir sera ce que sa population et ses dirigeants voudra qu'il soit en tenant compte de son histoire et de sa culture, les forces extérieures n'agissant qu'en cas de faiblesse du front social intérieur, faiblesse due à l'Etat de non-droit et au blocage des réformes démocratiques.