C'est l'Algérie dans toute sa diversité recréée par une native de Sétif, en usant largement des procédés littéraires, comme la personnification pour faire revivre ses plus belles années d'Algérie. Avant de s'adresser à l'Algérie tout entière, l'auteure a écrit dans un style relevé «Sétif de ma jeunesse» pour faire part de son affection pour sa ville natale qu'elle porte dans sa chair et son âme. «Terre aimée, l'Algérie» est un essai original consacré talentueusement à notre pays qui est aussi son pays natal qu'elle a quitté à 15 ans, en 1961. Une forme d'expression qui privilégie la personnification Denise Morel Ferla utilise avec une fréquence significative la première et la deuxième personne, comme dans un dialogue entre des protagonistes qui se connaissent parce qu'ils ont des racines communes : «Toi, terre d'accueil, tu remercies pour l'eau et la sueur de ceux qui t'aiment. Tu t'ouvres et reçois la semence qui germe et porte fruit !». A un âge crucial de sa vie, Denise n'a jamais laissé l'oubli se substituer à son amour immense voué à l'Algérie, son pays natal, et des meilleures années de sa vie. «Quarante ans étaient passés. Quarante ans de mutisme, mais jamais d'oubli», dit-elle pour en apporter la preuve sous le mode de style direct : «toi, en t'écrivant, je te parle et je te parle d'elle, l'Algérie de ma jeunesse». L'auteure fait comme si elle répondait à un correspondant qui viendrait lui rafraîchir la mémoire : «Comme un trésor inestimable, l'écho de mon enfance se nomme l'Algérie» et la langue arabe, très tôt familière, résonne en langue natale. Arabe et français cohabitaient et une Babel heureuse, et toujours j'ai aimé utiliser ces mots quotidiens». Pour dire qu'elle a gardé avec l'Algérie des liens fusionnels, elle fait part de ses sentiments dignes d'une vraie enfant du pays. «Ni les luttes fratricides qui ont suivi, dit-elle, Alger à feu et à sang, trente ans après. Bilan de la suffisance et du fanatisme», poursuit-elle avec sincérité. Après vient le ton de la personnification et d'échange épistolaire, c'est toute l'histoire, depuis les origines, qui est reconstituée, l'histoire ancienne contemporaine d'Homère et qui a précédé de plusieurs Hérodote, celle de Numidie-Maurétanie, sous Jules César, il s'agit de l'histoire racontée par Ibn Hawqal, celle de la régence ottomane, puis de l'occupation française jusqu'à l'indépendance. Il met l'accent sur l'histoire de Sétif qui lui est plus familière avec ses lieux historiques comme le jardin d'Orléans, Aïn Kebira, Aïn El Fouara, Bouhira. L'auteure n'a pas omis d'évoquer l'Algérie telle que perçue par Camus et le site archéologique de Djemila. Et par souci du sensationnel qui excite la curiosité, Denis Morel Ferla fait un chapitre au titre évocateur de colonisation de peuplement; «Des Suisses qui aiment la terre» qui raconte l'aventure d'un colon qui, en 1853, a pris le bateau pour l'Algérie, pour avoir raté celui de l'émigration en Amérique. Et que de péripéties dans cette histoire coloniale Cet essai consacré à l'Algérie et qui dit tout son amour pour le pays, donne à entendre un autre son de cloche sur les conditions de vie des colonisés et des colonisateurs pendant l'occupation française. On parle de colons suisses travaillant la terre grâce à la main-d'œuvre locale supposée avoir été payée misérablement. Et pour donner plus d'authenticité à ce vécu historique marqué par les pires difficultés, elle énumère les phénomènes et fléaux naturels qui rendent âpre la lutte pour la survie, du côté des Algériens opprimés : l'invasion des sauterelles qui ont gâché les récoltes, la sécheresse, les rigueurs de l'hiver selon les années. S'ajoutent à cela la révolte de 1870 avec le soulèvement d'El Moqrani, et une pratique illicite : l'usure, très courante en ces temps-là. Comme pour agrémenter cet essai, l'auteure éprouve du plaisir à faire le récit des souvenirs des uns et des autres, bons et mauvais. Elle relate l'aventure d'une certaine Marguerite qui va en pèlerinage à Annaba, à la manière des pieds-noirs qui ont tenu à revoir les lieux qui ont, jadis, fait partie de leur univers familier : place des Gargoulettes, l'hôtel Mountazah à Annaba. Et avec le souci de l'alternance, on rappelle les conflits armés revenant par intermittence au point d'occuper le devant de la scène par rapport aux chansons, à la description des paysages et des édifices ou de la vie à Alger. Pour mieux faire comprendre le statut des dominants et celui des dominés au fil des décennies, voire des siècles d'histoire, Denise use d'une comparaison : des «Paroles du chef indien Seattle» datant de 1854 et faisant allusion à des occupants étrangers dans un pays donné : «Comment peut-on acheter ou vendre le ciel ou la terre ? Si la fraîcheur de l'air et le murmure de l'eau ne nous appartiennent pas, comment peut-on les vendre ? Pour mon peuple, il n'y a pas un coin de cette terre qui ne soit sacré. Une aiguille de pin qui scintille, un rivage sablonneux, une brume légère, tout est saint aux yeux et dans la mémoire de mon peuple». Mais les derniers chapitres posent les bases d'un avenir meilleur pour les ennemis d'hier. Ce n'est là qu'un point de vue personnel, un rêve d'avenir gratuit né d'un souhait ardent. Denise continue d'y croire. C'est ce que ce passage laisse apparaître. Terre aimée, Algérie. Essai, Ed. El Ibriz, 149 pages, Denise Morel-Ferla, 2013.