On en sort bouleversé. Sans le savoir, le réalisateur japonais Hirokazu Kore-Eda a filmé la vraie vie au lieu d'une fiction. Un hôpital à Tokyo a été récemment condamné à verser 223 000 euros à un homme qui a passé 60 ans de sa vie dans une famille pauvre parce qu'il avait été échangé par erreur à la naissance. « Tel père, tel fils » raconte une histoire qui est loin d'être unique : deux bébés échangés à la naissance, des parents de deux milieux complètement différents qui élèvent les deux garçons jusqu'au moment où la vérité éclate au grand jour. Alors, qu'est-ce que la paternité ? Le sang ou le lien social établi ? Hirokazu Kore-Eda soumet le concept de la paternité à rude épreuve. Percutant, philosophique et de surcroît drôlement amusant. Un chef-d'œuvre. C'est la fête. Keita souffle ses six bougies, entouré de son papa et de sa maman. Enfin, de ceux qu'il croyait être jusque-là son père et sa mère. L'hôpital où est né le petit enfant vient d'envoyer une lettre disant que deux bébés ont été échangés à la naissance. Le récit du film n'a absolument rien d'extraordinaire, mais ce qu'en fait Hirokazu Kore-Eda est littéralement époustouflant. Il croise deux histoires familiales, le destin de deux classes sociales japonaises et deux philosophies de la paternité avec une fluidité déconcertante. Le jeu subtil de la caméra fait écho aux Variations Goldberg qui émergent régulièrement de la profondeur des images. L'histoire raconte la vie de Ryota, un architecte extrêmement ambitieux qui fait tout pour que sa carrière monte aussi vite que l'ascenseur qui l'emmène un samedi dans son bureau, situé dans un gratte-ciel dans la ville de Maebashi. Son seul problème est que son fils unique ne satisfait pas ses exigences. Keita aime la vie et ses parents, mais il n'est ni premier en classe, ni un petit Mozart au piano. Le jour où l'hôpital transmet la terrible vérité, pour le père-architecte, «tout s'explique tout d'un coup». Pour Ryota, le test ADN efface les six années passées ensemble. Pour lui, seul le lien biologique compte pour la filiation et l'amour paternel. Il est prêt à échanger les deux garçons. Sauf que les deux garçons n'acceptent pas l'autorité de ce père trop souvent absent. Ils lui font comprendre qu'un cerf-volant vaut plus qu'une grande limousine et qu'un vrai père répare le robot de son fils au lieu d'en acheter un autre. Petit à petit, sa vision du monde s'écroule pour accepter une réalité beaucoup plus complexe que le simple lien par le sang ou la classe sociale. Au travers de la question de la paternité, Hirokazu Kore-Eda nous propose une traversée de tout un pan de la société japonaise : de la maternité jusqu'à la maison des grands-parents en passant par la cuisine, le parking, le conservatoire, le bureau ou le magasin d'électroménager, beaucoup de lieux de socialisation défilent devant nos yeux. «Tel père, tel fils» est un chef-d'œuvre, brillamment interprété par une équipe d'acteurs incroyablement homogène : les deux mères qui dépassent les clivages (Machiko Ono, déjà plusieurs fois primée à Cannes, et Yoko Maki), les deux pères qui confrontent leurs visions de la vie (Masaharu Fukuyama, également le chanteur solo le plus vendu de l'histoire du Japon, et Lily Franky, aussi écrivain et compositeur) et les deux enfants qui imposent leurs réalités.