Qu'ils me haïssent, pourvu qu'ils me craignent, cette expression qui a toujours servi de devise au président Abdelaziz Bouteflika, collée à sa peau comme un grain de beauté, semble avoir atteint ses limites. Le sentiment n'est plus à la haine ou à la crainte, mais carrément au rejet. Un effet de bascule qui prend de plus en plus de l'ampleur avec le réveil des consciences assoupies et l'émergence de nouvelles énergies constitutives de l'expression d'un besoin de changement vital. Pour celui qui voulait, donc, rentrer de son vivant dans la légende et dont on pensait qu'il était revenu aux affaires en réponse à un appel de devoir et non en réaction à une aspiration revancharde longtemps contenue, l'échec est cuisant. En refusant de sortir par la grande porte et bénéficier du pardon du peuple pour son intrusion par la fenêtre en 1999, le président Abdelaziz Bouteflika rate son rendez vous avec l'Histoire. Il ne fait pas partie de l'Histoire, encore moins des hommes qui font l'histoire. C'est tout juste si une main à la générosité délirante, s'autorise une inscription sur les sombres pages du registre de l'histoire des ratés de l'Algérie post indépendance. Au crépuscule de sa vie, 77 ans, laminé par un AVC déstructurant, contraignant et tenace, réduit à quelques gesticulations insuffisantes pour couvrir le minimum des apparences, il s'entête à s'accrocher au poste et à la vie dans le même temps. Quelle pitoyable image ! Si physiquement Bouteflika tient encore assis, professionnellement, il est bel et bien mort. En réalité son étoile politique a cessé de briller, il y a déjà longtemps. N'en déplaise à la coupole qui le force à convoiter un autre mandat que la morale publique, la raison politique et le civisme lui refusent.Un mandat aux répercutions périlleuses pour le devenir du pays. Encourager et soutenir une rallonge de cinq années d'un président dans un état d'incapacité chronique de maîtrise des lourdes charges présidentielles, revient à cautionner le transfert de prérogatives d'un président élu à une fratrie ou une mixture, étrangère au choix du peuple et qui risque de transformer le régime en un Etat maffieux. C'est apparemment ce à quoi s'atèle ce fameux clan dit présidentiel à travers un forcing troublant et provocant. Quinze longues années d'un régime absolutiste où tous les pouvoirs sont concentrés entre les mains d'une seule personne - Abdelaziz Bouteflika -. Un exercice présidentiel sans partage ni contrôle, assumé avec un autoritarisme immodéré. Résultat: malheur et désolation. Un pays fortement gangréné par une corruption phénoménale qui a investi, quasiment, tous les secteurs d'activités, des dérapages institutionnels déroutants, une économie en berne, un chômage endémique, un pillage de richesse inégalé, un personnel politique avarié, froissé et poussiéreux, un clanisme outrancier, une opposition anémique, une jeunesse déboussolée contrainte à des traversées suicidaires pour des ciieux plus cléments, une paupérisation aggravée, des scandales financiers à répétitions, un blanchiment d'argents à ciel ouvert, une société civile triturée, méconnaissable, une impunité sacralisée à un certain niveau de responsabilité... Bref, une hécatombe ! Qui aurait imaginé qu'un jour le pays atteindrait un tel niveau de déchéance sous l'ère de celui qui se targuait d'être le sauveur tant attendu, le releveur de niveaux, l'ennemi de la médiocrité, l'excellence de la compétence, l'héritier des vérités, l'ange des espoirs, le président dans toute son entité et sa splendeur ? Que Dieu maudisse la collégialité militaro civile qui a importé Bouteflika. Elle aura à répondre devant le peuple des conséquences de son mauvais choix. Mais, en réalité, que pouvions-nous attendre d'hommes de peine qui ont privilégié le confort des casernes coloniales à l'endurance des maquis libérateurs, osé intégrer l'armée française en pleine lutte de libération, avec l'avalanche des massacres commis à l'endroit du peuple, et qui paradoxalement se sont retrouvés dans l'Algérie indépendante, décideurs du sort de tout un peuple ? Une collégialité aux abois qui, pour préserver ses intérêts immédiats, sécuriser ses carrés, menacés par un intégrisme armé insaisissable, bascule dans l'irréflexion, préférant se suffire du moins mauvais au lieu d'aller vers le meilleur. Quel gâchis ! En optant contre vents et marées pour une quatrième mandature contestée et contestable dans la forme et le fond, tout en se sachant très diminué, le président candidat Bouteflika fonce droit dans le mur, plonge dans une piscine vidée de son eau et culbute le pays dans un trou d'air qui risque de l'emporter durablement. Clans, cliques, tribus, fratrie, clientèles, racoleurs, sous traiteurs...tous seront responsables solidairement de la tragédie nationale à venir. La justice d'un peuple trahi est incommensurable. Notre pays connaîtra, à son tour, ce fameux printemps arabe. C'est inéluctable. C'est une question de temps. Et l'euphorie d'hier cédera, alors, la place à l'inquiétude, la culpabilité et le remord de demain. On ne peut résister au temps Monsieur le Président, il vous échappe. Votre langage et celui de la rue n'est plus le même .Vous avez épuisé votre crédit. Votre démagogie larmoyante ne tient plus la route. Vous n'êtes plus la solution mais le gros problème qui se pose à notre pays. Alors de grâce, rentrez chez vous et épargnez-nous, le désordre, la discorde, le trouble, les déchirements, les conflictualités sanglantes. Ayez pitié de ce peuple qui vous a tout donné sans contrepartie aucune si ce n'est l'indifférence, voire le mépris. Vous avez fait haïr à nos enfants jusqu'à leur hymne national. Quel exploit Monsieur le Président ! Aucun de vos prédécesseurs n'a réussi une telle performance. Mais il se trouve, aujourd'hui, que le système dont vous avez été l'un des principaux concepteurs et qui a permis votre retour, votre maintien à la tête de l'Etat durant quinze années et votre emprise sur les hommes et les institutions, est en voie de finissement. Le processus est irréversible. Avec votre départ, la parenthèse Oujda sera, enfin, définitivement fermée.