La dénonciation de l'ordre colonial est devenue récurrente dans le discours présidentiel depuis quelques mois. Elle est également un des thèmes de la campagne référendaire du président Bouteflika, qui oeuvre apparemment à réveiller une fibre nationaliste assoupie, voire passablement émoussée. A Sétif, haut lieu de la symbolique nationaliste et des méfaits du colonialisme (les massacres du 8 Mai 1945), le président de la République en a profité pour demander à la France de reconnaître les fautes commises à l'égard du peuple algérien de 1830 à 1962. C'est une « repentance » en bonne et due forme qu'il réclame à la France. Le président Abdelaziz Bouteflika a évoqué le cas de Madagascar, en estimant que les Algériens méritaient plus une repentance de la France que les Malgaches, en laissant entendre qu'il y aurait des initiatives de l'ancien Etat colonial visant « à demander pardon aux populations de Madagascar ». Une allusion sans doute à la visite de Jacques Chirac à Madagascar le 21 juillet dernier. Le président français avait évoqué des « pages sombres » de l'histoire et avait dénoncé le « caractère inacceptable des répressions engendrées par les dérives du système colonial ». « Rien ni personne ne peut effacer le souvenir de toutes celles et de tous ceux qui perdirent injustement la vie, et je m'associe avec respect à l'hommage qu'ils méritent », avait ajouté Chirac, en appelant à un travail de mémoire « qui retrace les faits et puisse apaiser les coeurs ». Une « repentance » très minimaliste, très pâle même ! Et c'est cela même qui rend surprenant de voir le président Abdelaziz Bouteflika l'évoquer sur le thème des Algériens qui ont plus souffert que les Malgaches. S'agit-il de suggérer une démarche similaire de Chirac en direction de l'Algérie ? Il est vrai que pour le cas de l'Algérie, hormis les propos de l'ambassadeur français à Sétif sur le caractère « inexcusable » des massacres du 8 Mai 1945, aucune déclaration du chef de l'Etat français n'a évoqué la période coloniale en Algérie. On peut noter également que la loi française du 23 février 2005 paraît viser spécifiquement l'Algérie et que dans les autres pays colonisés par la France, on n'a guère entendu de protestations. Cela donne une idée de la démarche électoraliste qui a animé les députés UMP qui ont pris l'initiative de la loi. Cela explique en partie la récurrence des critiques de Bouteflika qui, à Sétif, ne s'est pas contenté de dénoncer l'ordre colonial, mais a interpellé vivement les responsables français à prendre le chemin de la repentance. « Nous rappelons à nos amis en France, à ceux dont la conscience est encore vive, qu'ils n'ont pas d'autre choix que de reconnaître qu'ils ont commis des fautes à l'encontre du peuple algérien depuis 1830 » (...). « Ils n'ont pas d'autres choix que de reconnaître qu'ils ont torturé, tué, exterminé de 1830 à 1962 (...), qu'ils ont voulu anéantir l'identité algérienne », faisant que « nous n'étions ni berbères, ni arabes, ni musulmans, nous n'avions ni culture, ni langue, ni histoire ». Une fois n'est pas coutume, les déclarations du président Bouteflika ont suscité une réaction très diplomatique du porte-parole du Quai d'Orsay, Jean-Baptiste Mattéi, insistant sur le fait qu'il faut laisser aux historiens le soin de faire la part des choses. « Nous considérons que le travail qui est relatif aux questions de mémoire relève de la compétence des historiens et des chercheurs qui doivent travailler ensemble sur ces questions en toute indépendance », a déclaré Jean-Baptiste Mattéi, qui a estimé qu'il n'avait pas « à commenter les propos du président Bouteflika ». Le problème pour les Algériens est que la loi du 23 février 2005 a bel et bien tranché pour une appréciation « positive » de la colonisation qui a choqué en premier les historiens français. Et cette loi, contestable sur le fond, est tombée au plus mauvais moment. La vraie question est de savoir si cette bataille de la mémoire va remettre en cause la conclusion du traité d'amitié prévu pour l'année 2005. Les négociations se poursuivent, a expliqué il y a quelques jours le porte-parole du Quai d'Orsay. Et jusqu'à présent, les déclarations officielles algériennes ne semblent pas avoir remis en cause cette perspective. Et la repentance demandée ne semble pas être une condition préalable pour la conclusion du traité d'amitié. Mais une part d'incertitude demeure du fait de la récurrence des critiques du président et... 2005 touche presque à sa fin. M. Saâdoune, Source : Quotidien d'Oran