Le médiateur de l'ONU en Syrie Lakhdar Brahimi a démissionné mardi après moins de deux ans d'efforts infructueux pour mettre un terme à un conflit dans lequel le régime en place est de nouveau accusé de recourir aux armes chimiques. La démission de ce diplomate chevronné était attendue depuis qu'il avait affirmé que l'élection présidentielle du 3 juin en Syrie, et la réélection attendue de Bachar al-Assad, sonneraient le glas de ses efforts. «C'est avec un profond regret que (...) j'ai décidé d'accepter la demande de M. Brahimi de quitter ses fonctions le 31 mai 2014», a annoncé mardi le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon, rendant hommage à «la patience et la persévérance» de ce diplomate algérien de 80 ans qui avait pris en août 2012 le relais de Kofi Annan. En visite à Washington, le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius, de son côté, a accusé le régime de Bachar al-Assad d'avoir utilisé à plusieurs reprises au cours des derniers mois des armes chimiques, notamment du chlore, contre sa population. «Nous avons des témoins crédibles pour l'usage (d'agents chimiques), avec au moins 14 recours (...) depuis le 25 octobre 2013», a déclaré M. Fabius, précisant que des échantillons prélevés sur le terrain étaient en cours d'analyse. Rappelant les efforts de M. Brahimi pour organiser en janvier et février à Genève les premiers pourparlers directs entre pouvoir et opposition, aujourd'hui dans l'impasse, M. Ban a «déploré que les parties, et en particulier le gouvernement, se soient montrés si réticents à saisir cette chance». Mais il a aussi fustigé la désunion du Conseil de sécurité, où la Russie a bloqué toute initiative occidentale afin de protéger Damas, et «les pays qui ont une influence sur la situation en Syrie». «C'est notre échec à tous», a-t-il conclu. M. Brahimi s'est dit «très triste de quitter son poste, et la Syrie, dans une si mauvaise situation». La campagne électorale pour la présidentielle a commencé dimanche en Syrie, au lendemain d'un succès militaire du régime à Homs (centre). «Frustration» Le départ du diplomate algérien laisse l'ONU sans médiateur. Et apparemment sans stratégie de rechange. Pressé de questions à ce propos, M. Ban a reconnu qu'il lui faudrait «du temps pour trouver la personne qui convient». «Il nous faudra aussi réfléchir très sérieusement à une ligne de conduite», a-t-il ajouté. M. Brahimi devait en discuter mardi après-midi avec les 15 pays membres du Conseil de sécurité. Sa démission a été accueillie avec flegme à Washington. «Nous lui sommes très reconnaissants (...), nous attendons la nomination de son successeur et nous travaillerons avec lui», a déclaré un responsable américain sous couvert d'anonymat. Le représentant à l'ONU de la Coalition nationale syrienne, Najib Ghadbian, a souligné qu'il «partageait la frustration» de M. Brahimi face au régime de Damas. «Il est clair que le régime ne mettra fin à sa campagne militaire brutale et ne s'engagera dans un processus politique que s'il y est contraint», a-t-il ajouté, déplorant le manque de «pression internationale concertée» sur ce dossier. Des diplomates à l'ONU évoquent pour succéder à M. Brahimi les noms de Kamel Morjane, ancien ministre tunisien des Affaires étrangères et de Kevin Rudd, ancien Premier ministre australien. Si M. Ban a cité le désarmement chimique comme un des rares progrès dans la crise syrienne - la Syrie, qui doit détruire tout son arsenal d'ici au 30 juin, en a déjà éliminé 92% - l'organisation américaine Human Rights Watch (HRW) a affirmé mardi qu'il existait des preuves solides d'attaques au chlore, menées par le régime syrien dans trois villes à la mi-avril. Revenant sur l'attitude de la communauté internationale dans la crise syrienne, M. Fabius a profité de son passage dans la capitale fédérale américaine pour lancer une pique à Barack Obama, déclarant «regretter» que les Etats-Unis n'aient pas frappé la Syrie l'été dernier. «Nous pensons que cela aurait changé beaucoup de choses, à beaucoup d'égards», a-t-il expliqué, peu après avoir rencontré son homologue John Kerry. «A l'époque, il s'agissait de l'utilisation massive des armes chimiques. Et à l'époque un grand dirigeant avait dit c'est la ‘ligne rouge'», a rappelé M. Fabius, en allusion à la formule utilisée par M. Obama.