«Aujourd'hui mon libraire m'a donné ce livre avec des nouvelles octogonales sur un style terriblement trivial, mais de cette trivialité vénéneuse qui te pousse tout de suite au suicide, que le lecteur soit rassuré, il ne s'agit que de fictions». Le délit est provoqué par Djalila Hajar Bali, elle est née dans les années 1960, est professeur de mathématiques qui manie le verbe et la tirade de théâtre pour lequel elle est une dramaturge appréciée, elle est l'auteur de «Rêve et vol d'oiseau», un recueil de pièces de théâtre paru chez Barzakh en 2009. Pour ce livre qu'elle a sorti dernièrement, Hajar Bali se livre à quelques exercices jubilatoires qui explosent toutes nos certitudes de bien pensants. Sur huit nouvelles courtes, l'écrivaine oublie ses anciennes amours de Chrysalide aujourd'hui sortie de son enveloppe translucide pour devenir un papillon écrivain qui se montre, enfin, dans la lumière avec sur ses ailes un ensemble de textes très croustillants à lire. On a droit à quelques histoires qui flirtent avec des notes surréalistes sans avoir l'air d'y toucher. Parce que Hajar Bali emmène le lecteur dans des situations d'apparence normale, puis elle dérive lentement, ou fait dériver plutôt lentement ses héros, où ses anti-héros dans une longue litanie aventureuse sur le fil du rasoir ancré dans le quotidien. Un peu comme «Le petit pépin de pastèque» qui, au début, était l'espace potentiel d'une protestation maternelle toute légitime, et qui prend ensuite la forme énorme et puissante de récéptacle des confidences les plus intimes. Ou comment faire d'un cafard un ami fidèle !? même si ce dernier vit dans un monde parrallèle avec la mort sans cesse à proximité. Une femme oubliée par les siens, oubliée par l'amour, se confie à un ami inattendu, jusqu'à ce que...«Peu importe le mensonge...», est la seconde nouvelle inscrite comme un tatouage très concis sur un couple très attaché, entre eux, il y a le drame formidable d'un petit oiseau tombé du nid. Il est sous la menace du temp qui passe, une épée de Damoclès avec une Faux etune tunique noire, on la voit passer furtivement comme une ombre fantomatique le long des lignes de vie de Hajar Bali, qu'elle s'amuse dans une faconde trop polie pour être réelement gentille à nous écrire dans un langage simple, très dialogué, courts mais précis. L'auteur mèle délicatement le destin de cette femme promise à une mort certaine incessement visible à un oisillon tombé du nid. La suite, le lecteur dans un superbe instinc de curiosité, se délèctera de la chute de cette histoire. Pour ce qui est de La chaussette à la main, Hajar Bali mène la danse dans une sorte de Polka endiablée, sur fond de musique triste d'une femme qui se trouve enfin libre de faire le tapin dans un immense désordre sur le microcosme d'un immeuble qui abrite une faune délicieusement anticléricale, et qui, sous l'impulsion malheureuse du meurtre non élucidé d'un poète approximatif, mari malheureux de la tapineuse avouée, laisse un désordre dans nos sens par les pistes inextricables dont Hajar Bali a le secret pour nous perdre dans ses labyrinthes humoristiques, délicieusement écrit. On dit souvent que les nouvelles vont vite, eh bien à la lecture de ce recueil, la vitesse est aussi un atout créatif très agréable à la découverte entre amour et haine, mépris ou latence avec «La Mante», on sait encore si c'est une leçon d'espoir pour un quidam de plus de 80 ans qui redécouvre une seconde jeunesse en instillant dans sa vie de nouveaux personnages féminins. Mais l'histoire ne suit pas le cours que l'on s'imagine... Même destinée étrange pour Mehdi de cette petite histoire intitulée «Bêtes à bon Dieu» qui suit les traces d'un jeune garçon au destin bien tracé qui sait faire les paquets de coriandre comme personne et qui adore jouer au foot, mais que la vie rattrape le temps d'une compétition pour le rendre à la trivialité comme pour un apprentissage des choses inexorables qui doivent arriver. «Sitôt que la souffrance surgit» plonge dans les arcanes du pouvoir, la dictature peut-être, mais le pouvoir change de main sitôt que la souffrance surgit ou que la mort rode dans les environs. Une très bonne nouvelle de Hajar Bali qui, dans ses dialogues et sa manière de nous mener à la chute dans un élan bon enfant, nous fait poser la question de l'humanité chez ses personnages, toujours en décalage avec le paraître et le conventionnel. L'auteur n'a pas peur des méchants et méprise les gentils, elle pense se placer avec la vérité des êtres et des choses, et c'est sans nul doute ce qui nous fait apprécier ses textes, «Les chiens errants» est une superbe histoire d'amour baignée dans l'errance justement d'un couple presque normal, et l'issue de cette aventure reste à découvrir par son pied de nez. Et bien-sûr l'inévitable option apolcalyptique laissé au final dans l'intitulé «Trop tard» qui débute dans une ruelle embourbée dans un embouteillage et d'une guerre déclarée, le tout dans une histoire qui rappelle grandement «La guerre des mondes» d'Orson Welles. Finalement, Hajar Bali réussit à nous amuser, nous distraire, rire sur nous-même avec une force littéraire qui trempe sa plûme dans le quotidien pour illustrer cet immense éloge de la folie dans lequel nous sommes tous susceptibles de tomber d'une... minute à l'autre, mais avec tout ça, il n'est malgré tout jamais... trop tard pour lire ce délicieux recueil de nouvelles. «Trop tard», recueil de nouvelles de Hajar Bali, Editions Barzakh, Alger, 2014, 176 pages, prix public 700 DA.