On ne lésine pas sur les moyens quand il s'agit de préparer à manger pour le ftour. Celui-ci doit être appétissant, nourrissant et conçu pour aider à supporter les longues et chaudes journées de Ramadhan. Au fur et à mesure qu'on vieillit et que les générations passent, l'être humain devient capricieux, grincheux, exigeant. Il a envie d'acheter sous la pression de la faim, tout ce qu'il voit comme denrées de consommation, y compris ce qu'il n'a jamais aimé manger, comme les glands amers et durs à mastiquer. Jadis, on était beaucoup plus sobres, c'est-à-dire moins gourmands. On passait des mois de Ramadhan dans la paix et la sérénité, les gens se contentaient du minimum vital, apprêté selon des traditions saines qui nous servaient de guides de conduite. Aujourd'hui, on est agressés de partout lorsqu'on traverse la rue en biaisant là une table de marchand d'herbes aromatique et de pois chiches, ici un étal de fruits exotiques qui vous donnent envie de vous ruiner, puis ce sont les marchands de friandises qui vous appellent comme s'ils vous menaçaient. La vie publique est prise d'assaut au point où on se dispute le moindre petit espace. Sans compter, les gens achètent pour le ftour comme s'ils étaient obligés de remplir les couffins. Un f'tour sur fond de plantes aromatiques Le parfum de la menthe comme celui du persil ou de la coriandre est fortement apprécié avec la faim qui rend plus attentif aux odeurs et saveurs. En réalité, il n'y a point de chorba sans plantes aromatiques et sans jus de citron. Quant à cette chroba, elle est variable selon les ménagères et les régions. Entre la chorba de l'extrême-est de l'Algérie et celle du centre, il y a des différences indiscutables. L'Ouest a opté depuis belle lurette pour la hrira sous différentes formes aussi. Mais on oublie que la viande de mouton est devenue inaccessible, mis à part une majorité qui peut se payer des moutons entiers. Les plus pauvres se rabattent sur la viande de poulet ; ça ne donne pas le même goût, mais tant pis, les connaisseurs savent dissimuler cette viande blanche au point de vous donner l'illusion de manger du mouton, par un mariage d'ingrédients comme certaines épices et le piquant. Même les éleveurs et marchands de volailles sont atteints du vice de l'enrichissement facile qui les font entrer dans l'univers des fortunés en acquérant des moyens qui permettent d'acheter des châteaux, de belles voitures à la fin du Ramadhan. Les marchands, mais derrière eux les grossistes et producteurs de légumes font monter les prix des ingrédients essentiels à la chorba: la tomate, la courgette qui, si elles étaient capables de parler, pourraient vous raconter des aventures hors du commun, sinon des odyssées à dormir debout. On doit ajouter le poivron qui se prête à toutes les recettes comme celles du farci où se retrouvent facilement les deux compères précédemment cités. Et toute cette gymnastique consistant à acheter sans compter, à couper dans le bon sens, à marier dans les récipients avec les bouquets de plantes aromatiques, à verser de l'eau, à mélanger, à remuer, se termine par la cuisson puis le manger dans les assiettes. Si on pouvait compter le nombre de cuillers qui se remuent dans toute l'Algérie, à la même heure du ftour, il y a de quoi être effrayé. Et quand on a fini de manger, on devient lourd comme un récipient plein qui se range dans un coin pour ne pas être gênant. Le lendemain ça recommence. Les friandises indispensables à l'ambiance L'habitude adoptée par la majorité consiste à acheter, sinon à préparer chez soi le qelb ellouz ou la zlabia ; jamais ces deux préparations sucrées n'ont été exclues du domicile des jeûneurs. Quelquefois on les fait accompagner de gâteaux sinon de pain brioche sucré. Ceux qui font le Ramadhan, paraît-il, ont besoin de sucre, leur corps en réclame pour supporter l'abstinence. Ce qui explique aussi la surconsommation des boissons gazeuses, à base de sucre. En réalité, l'excès de gras et de sucre est nuisible à la santé. C'est parce que les gens sont devenus esclaves de leurs caprices qu'ils consomment sans retenue. Les anciens n'ont pas connu cette vie très agitée la journée, et lourde la nuit par la surconsommation. Ils mangeaient un couscous simple aux légumes et pour le shour, ils en faisaient autant, sauf que pour la nuit, ils mélangeaient le couscous et les fruits de saison. Ils se portaient bien et ne donnaient jamais l'occasion à l'électricien ou au médecin de devenir marchands de zalabia ou de persil ou d'autres denrées consommées fortement pour s'enrichir vite.