La coalition laïque a nettement devancé Ennhada aux législatives. Sans majorité absolue, elle devra toutefois composer avec les islamistes. La victoire du principal parti séculier aux législatives en Tunisie se confirmait lundi soir, les islamistes d'Ennahda reconnaissant être en seconde position de ce scrutin clé pour le berceau du printemps arabe. L'Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) a jusqu'au 30 octobre pour prononcer son verdict définitif sur la composition du Parlement et ses 217 députés élus à la proportionnelle. Comment expliquer le succès de Nidaa Tounes ? L'ampleur du score de «l'appel de la Tunisie» - formation hétéroclite regroupant aussi bien des figures de gauche et de centre droit que des caciques du régime de Zine el-Abidine Ben Ali, renversé par la révolution de 2011 - est une surprise pour beaucoup, mais ce parti a profité du vote sanction contre Ennahda. Le mouvement créé par Béji Caïd Essebsi, ministre sous Bourguiba et Premier ministre juste après la révolution, «a misé dès le début sur la peur du terrorisme, sur la restauration du prestige et de l'autorité de l'Etat», note Michaël Béchir Ayari, analyste pour l'International Crisis Group (ICG). «Ennahda a subi l'épreuve du pouvoir et montré n'être pas à la hauteur de nos ambitions. On veut quelque chose de proche de l'ancien régime, d'abord au niveau de la sécurité», expliquait ainsi Salah à la sortie d'un bureau de vote à Borj Louzir, un quartier populaire de la banlieue de Tunis. En 2011, ce chef de chantier avait voté pour les islamistes. Dans le quartier chic d'El Manar, à Tunis, l'appel au «vote utile» martelé par Nidaa Tounes a, semble-t-il, fait effet. Comme pour Salma, qui a hésité jusqu'au dernier jour avant de glisser un bulletin Nidaa Tounès. «Sans grande conviction», disait cette jeune avocate, qui a «un peu peur des ex-RCD [parti de Ben Ali, ndlr]» présents en nombre au sein de la formation. Le politologue Jérôme Heurtaux, rattaché à l'Institut de recherche sur le Maghreb contemporain, a coordonné une enquête sociologique à la sortie des urnes, auprès de 700 électeurs de deux quartiers autour de la capitale, l'un aisé, l'autre populaire. «Une partie considérable d'entre eux a voté par défaut, pour le moins mauvais des candidats. Ce sont des votes refuge, des votes de peur plutôt que des votes de cœur, avec une défiance généralisée à l'égard du personnel politique», explique-t-il. Autre signe de cette défiance : seuls 3,3 millions d'électeurs ont voté, contre 4,3 millions en 2011. «Nidaa Tounès a joué sur la peur», soupirait dimanche un militant au QG d'Al Massar, parti de centre gauche qui a compté jusqu'à dix élus actifs dans l'Assemblée constituante, et qui ne devrait en reconduire aucun. Pourquoi une telle défaite pour Ennahda ? Neuf mois à l'écart du pouvoir, quitté en janvier sous la pression, n'y auront pas suffi. Ni la machine bien huilée déployée pendant la campagne, bien plus rodée que celle de Nidaa Tounès. Ennahda a reconnu lundi après-midi sa défaite et félicité ses adversaires. «Ils sont en avance de plus ou moins une douzaine de sièges. Nous aurions environ 70 sièges et eux environ 80», a déclaré son porte-parole, Zied Ladhari, citant les premières estimations en interne. «Ils ont gardé leur pré carré, mais ont perdu une partie de leur cercle externe», analyse le constitutionnaliste Ghazi Gherairi. Ennahda reste fort dans ses bastions, au Sud. Notamment à Sfax, deuxième ville du pays. «C'est un séisme. Pour la première fois dans l'histoire de l'islam politique, les islamistes sont battus démocratiquement, par les urnes», jubilait lundi le politologue Hamadi Rédissi, membre de Nidaa Tounès. S'il reconnaît à Ennahda son ancrage social, il estime que «l'islam politique n'était qu'un accident de l'histoire, contrairement à ceux qui disaient qu'il représentait la Tunisie profonde».«Les islamistes ont surfé sur les malheurs de la Tunisie, et quand les Tunisiens se sont rendu compte que c'étaient des imposteurs, ils les ont renvoyés», poursuit Hamadi Rédissi, qui va donc jusqu'à y voir «la fin de l'islam politique». Ce serait plutôt une «normalisation», pour Ghazi Gherairi : «Les Tunisiens ont élu Ennahda sur une base religieuse, mais ils n'ont pas eu d'état d'âme quand ils ont estimé qu'ils avaient failli. Le fait d'être un parti à fond religieux ne leur a pas procuré de faveur particulière. Ce n'est pas rien.» Quels sont les défis du prochain gouvernement ? Il s'agira d'abord de former un gouvernement, ce qui s'annonce comme une tâche compliquée. Comme attendu, au vu du type de scrutin, Nidaa Tounès n'a pas la majorité absolue. De plus, ses alliés naturels, dans le camp laïc, ont été laminés.