Le destin a voulu que l'illustre écrivain soit enterré un 1er novembre, date de l'anniversaire du déclenchement de la guerre de Libération nationale, après avoir été acteur et témoin des évènements qui ont marqué la Révolution. Que d'hommes et de femmes de la génération de Kateb ont honoré au prix de leur vie notre pays, contrairement à d'autres ! Il s'agit de guerriers, d'hommes et de femmes de culture qui ont servi la cause nationale. Notre écrivain polyvalent est arrivé au stade de la maturité 9 ans avant la révolution armée, cela s'est passé au lendemain de son exclusion du lycée de Sétif pour avoir pris une part active aux événements du 8 Mai 1945. Hyper-intelligent et nationaliste pur et dur Pour mériter sa renommée et très tôt, il faut des prédispositions d'un genre hors du commun. Sa singularité a commencé en 1946, lorsqu'il a donné sa première conférence à Paris et sur l'Emir Abdelkader. Question de vocation, de maturité, de dextérité et de témérité pour un si jeune conférencier qui a parlé d'une sommité parmi les chefs guerriers. C'est pourquoi Kateb a connu la consécration dès la publication de son premier roman en 1956 avec un titre peu commun «Nedjma» qui, depuis, a rayonné à l'image d'une étoile, pour ne pas dire d'une constellation scintillante. Si ce titre a été choisi, c'est peut- être pour signifier moyennant un symbole à fortes connotations : lueur d'espoir d'un pays longtemps martyrisé. «Nedjma» est une œuvre romanesque qui, tout en rayonnant d'un éclat inégalé, et comme le voulait l'auteur, devait prendre en charge les urgences violentes de l'Histoire et les tumultes de l'Algérie en guerre. Nedjma qui fut le prénom féminin porté par celle qui lui a fait découvrir la passion amoureuse est aussi belle que l'Algérie qu'il a portée dans son cœur. Elle l'a été incontestablement et Kateb nous l'a montrée dans un film très court d'un amateur qui a bien voulu immortaliser des séquences importantes de l'auteur singulièrement fertile et de tous ceux qui ont fait partie de son univers intime, comme la jeune qui l'avait marqué à vie pour sa grande beauté. Tous ces faits, évènements comme le soulèvement du 8 Mai 1945 qui a coûté à Kateb son exclusion définitive du lycée et au peuple algérien plus de quarante mille morts, ainsi que sa facilité d'expression, ont fait de Kateb un acteur hors pair. Il invente une écriture, preuve supplémentaire de son génie créateur, comme sa capacité à donner une réponse cinglante à tous ceux qui ont essayé de le mettre en difficulté par des questions ambiguës. La dramaturgie est innée chez Kateb. C'est pourquoi elle eut partie intégrante de ses romans, au même titre que la poésie. «Nedjma» comme le titre l'indique pour sa symbolique inépuisable, est à la fois un poème, une pièce théâtrale pouvant se jouer comme telle sur une scène, un roman. Il est, par ailleurs d'une polyphonie exceptionnelle. Pour qui veut étudier la polysémie dans toutes ses particularités, dans le cadre d'un travail de thèse, Nedjma comme «Le Polygone étoilé», tout le théâtre de Kateb, ou l'ensemble de ses nouvelles sont autant de supports qui pourraient répondre à toutes les exigences des chercheurs. Il en est de même de la métaphore dans tous ses états. Un auteur moderniste qui a baigné dans la culture populaire Dans sa stratégie «Les ancêtres redoublent de férocité», il y a des marques incontestables de l'héritage populaire. Le tititre lui-même en est un indicateur. Kateb a beaucoup appris auprès de sa mère férue de littérature orale. Avoir été mis au monde et élevé par une mère sachant déclamer des poèmes anciens ou en composer avec une facilité de langue innouie, ou étant disposée à raconter des légendes, anecdotes et contes transmis oralement depuis nos plus lointains ancêtre, Kateb est un privilège rare pour un enfant. C'est dans cette ambiance qu'a grandi Kateb, si bien qu'une fois devenu maître de langue, à son tour, il a prisé tout ce qui lui a été nécessaire pour agrémenter ses œuvres dans le patrimoine ancestral. C'est le cas du «Vautour», oiseau rapace mais personnage dans sa pièce théâtrale, représentatif de la mémoire collective. Le vautour qui n'est pas spécifique à l'Algérie, se retrouve dans beaucoup de pays africains qui ont perpétué leur oralité grâce à leurs griots restés actifs dans la transmission de l'héritage culturel aux générations montantes. Prenons aussi l'exemple de la comédie katébienne «La poudre d'intelligence» composée par l'auteur en mettant bout à bout des histoires du légendaire Djeha. Il s'est inspiré aussi des autres pour donner à sa pièce une forme originale mais conforme aux normes. Que de spectateurs ont ri aux éclats à l'écoute des personnages de cette comédie, idéale pour la détente ! Quant à l'autre tragédie «Le Cadre encerclé» au titre évocateur dans la trilogie «Le cercle des représailles», elle mérite amplement le qualificatif de moderniste, même si le présent et le présent y sont associé Kateb est un ardent défenseur des mythes, des langues ancestrales, de la littérature, bref, tout peut donner l'image de l'algériannité. Auteur révolutionnaire, Kateb Yacine est pour l'évolution dans un monde qui se modernise sans cesse, mais pour lui, les légendes ainsi que les mythes, la littérature ancienne sont à conserver jalousement, en tant que référents d'une identité. Et dans un monde traditionnaliste où la femme est exclue, il recrée le visage de la Kahina appelée à l'origine Dihya, en qualité d'héroïne nationale comme l'ont été d'autres à l'exemple de Fathma N'soumeur, ou Jeanne d'Arc dans son pays. Un coup de jeune à l'écriture Une fois devenu libre, après son exclusion politique du lycée de Sétif, Kateb a parcouru le monde ; il a connu les grands hommes qui ont marqué le monde, de la trempe d'Ho chi Minh, Bertold Brecht. Il a étudié tous les auteurs du théâtre de la Grèce antique au point d'en être influencé en adoptant la structure de leurs pièces qui ont introduit, à la différence du théâtre classique, les chants polyphoniques comme les répliques en chœur pour prévenir les spectateurs sur les thèmes, les relations interpersonnelles pour inciter à une meilleure concentration. On a vu Kateb chanter avec les acteurs de la troupe théâtrale de Bel Abbès parce que cela entrait dans le déroulement de la pièce. C'était par un soir de l'année 1975 à la salle des actes de l'université. Ce que nous remarquons lorsque nous lisons les œuvres de Kateb, c'est le retour des mêmes personnages. Les plus récurrents sont : Nedjma, Lakhdar, Keblout. Le style est toujours merveilleux bien que beaucoup de passages soient durs à comprendre par les images métaphoriques ou hyperboliques même si le vocabulaire est courant. A titre d'exemple, nous relevons de Nedjma cette phrase : «Je ne dirai pas son nom. Je lui ferai de mes poèmes farouches un ténébreux chemin jusque vers les comètes où rayonnera plus vif qu'un brasier son regard populaire». Dans «Le polygone étoilé», l'auteur dit de sa mère qu'elle était elle-même théâtre». On a trouvé dans ce roman qui est un complément, c'est à dire une suite de Nedjma, ce passage qui demande une bonne réflexion : «Pour ne rien perdre en l'épopée, nous allons vivre, j'eus recours. Plus d'une légende». Quant aux nouvelles, c'est l'hermétisme total.