La galerie Mohamed Racim de l'UNAC accueille depuis le 5 mai une riche et enrichissante exposition d'œuvres plastiques récentes de Jaoudet Gassouma, artiste ubiquiste s'il en est, connu et reconnu dans le landerneau culturel algérien pour la pluralité des cordes de son arc, de ses arcs oserait-on dire, puisqu'il enfourche une multitude de disciplines allant de la peinture à la littérature, en passant par la décoration et la réalisation cinématographique, le journalisme, la BD, l'animation radiophonique, la vidéo, l'action artistique, le livre d'art etc… qui lui ont permis de capitaliser une expérience utile à la foliation d'une carrière de jour en jour plus consistante. Il propose à notre appréciation un corpus de plus d'une soixantaine de tableaux de différentes dimensions, en technique et sur des supports aussi variés que le pastel sur carton, l'acrylique sur papier, l'acrylique et le collage sur papier, sur toile et sur toile cirée, la technique mixte sur carton plume, l'acrylique sur bologan du Mali, le dessin sur papier. Par cette spectaculaire exposition monographique Gassouma vient bousculer le spectacle de la cité, émoustiller le champ artistique et assouvir quelque peu le désir de culture qui s'y fait pressant, désir illustré par la grande affluence drainée par la galerie Mohamed Racim, le jour du vernissage. Les visiteurs ont, d'emblée, été happés par le lyrisme graphique et chromatique d'un langage esthétique délirant, épicé par une iconographie éclatante et éclatée avec des sujets dégingandés, désarticulés, grinçants et par un espace pictural, frétillant d'images et de gestes visuels saturés à l'aune d'une graphie prégnante de naïveté et de désinvolture. Une frénésie discursive qui donne l'impression d'une fantasia graphique et d'un baroud de couleurs. Une sorte de sit-in d'images drolatiques, une monstration verveuse, bardée de représentations que traversent des sujets hybrides vibrionnants d'un polymorphisme chatoyant, éclatant de présence. La narration et l'anecdote sont le substrat poétique efficace convoqué par un artiste qui ne s'interdit rien pour s'exprimer dans une démarche parodique qui revêt le caractère singulier d'une mythologie personnelle faite d'une imagerie au dynamisme irrésistible traversée par des personnages détricotés, en vrac, aléatoires. Des sujets bondissants, truculents par leur gestualité gesticulante et malicieuse, pleine de désinvolture et de théâtralisme. Des créatures haletantes, hallucinées, saltimbanquesques en perpétuel mouvement entraînés dans une frénésie de l'inachèvement et de la fragmentation. Et si l'on s'avisait, pour en cerner les thématiques, à oser une lectures des titres qu'arborent les cartels, on se trouve tout aussi désarçonné par des expressions et des néologismes butinés dans le jargon de la gouaille populaire aussi pittoresques, cocasses et truculents que «Papicha», «Madama», «Tassouira», «Nigrooharragoo», «Medjrouh el kalb», «Bahloul lemdina», «Djadja ou serdouk», «El Wechma», «Bougi» (hommage à la révolution des jasmins), «Seroual lalla», «Echoomar» de même que des vocables qui ont défrayé la chronique sportive récemment comme «Vuvuzela et Jabulani», «Usain Bolt». Ces œuvres revêtent une facture d'urgence vitale, une trépidation irrésistible habitant les corps et les visages de ces hybrides déconstruits en transit vers une hypothétique complétude. Ce travail singulier d'une insolente et joyeuse exubérance dégage une grande puissance rétinienne. Cette exubérance foisonnante est traversée par une gestuelle exacerbée entraînée dans un tempo chromatique délié, parfois même effréné, expectorant une thématique protéiforme, une esthétique délirante et déchirée d'une irrésistible séduction. Délibérément «abracadabrantesque». La plupart des tableaux hébergent des sujets archétypaux jubilatoires, étranges, fantastiques, fantasmatiques, et parfois même physiquement fantasques, facétieux, tracés à la serpe, d'une facture néo-expressionniste et bédéisante évidente transcendés par une imagination visuelle débordante de vitalité, laissant transparaître un parti pris délectable d'humour, de dérision, de provocation rétinienne et de subversion. Le tout libellé dans un langage mosaïque, arléquinesque délivrant un corpus plein de vitalité qui nous permet de sortir du ronron des redondances défraîchies que nous administrent certains «peintres ruminants» (formule empruntée au peintre et théoricien de la peinture André Lhote). Certaines œuvres sont, par ailleurs, un clin d'œil insolite à un substrat cosmogonique vertigineux de mal en soi. Des œuvres subjectives, secouées, kaleidoscopiques où la graphie et la couleur se croisent, se fondent se confondent, se brassent et s'embrassent se choquent et s'entrechoquent, exultant dans une dynamique effrénée qui semble dire la fuite hallucinante et hallucinée du temps. Ce savoureux corpus, sorti tout chaud de l'athanor d'un artiste magicien, nous relate, à travers un langage enjoué, une quête inassouvie «d'entièreté». N'est-il pas l'image éclatée à l'aune de la multidisciplinarité, la transversalité discursive enchanteresse, d'un artiste vigoureux et pugnace toujours en transit vers une multitude d'expressions. C'est là le focus d'un regardeur, non d'un observateur ou d'un analyste rigoureux, qui a osé focaliser pour interpréter une démarche originale et puissante. Comme toute interprétation, elle porte le sceau de la relativité. Nous laissons à Jaoudet Gassouma le loisir de nous renvoyer à nos pénates discursives. En guise de chute, nous reproduisons le texte de notre réaction mentionnée sur l'une des pages du livre d'or de l'exposition. «Une explosion de couleurs J'allais dire de colère De la part d'un artificier De la forme et de la palette Un défricheur d'émois Un mineur des tréfonds abyssaux A l'aune des «moi» En quête de catharsis Un printemps Des printemps Ouahed ou achrine printemps». Mohamed Massen, artiste plasticien