Plongée dans le chaos depuis la chute en 2011 de Mouammar Kadhafi et déchirée par des combats entre milices lourdement armées, la Libye est divisée entre deux autorités et confrontée à la montée en puissance du groupe terroriste Daech (EI). Pour mieux cerner la situation sécuritaire actuelle en Libye, entrevoir les développements futurs possibles et surtout apprécier les retombées sur la sécurité de la région, il convient d'identifier les principaux acteurs et intervenants sur le théâtre libyen dans le domaine sécuritaire et examiner leurs rôles respectifs. Ainsi, quatre principales forces qui se combattent ou qui peuvent s'allier ponctuellement constituent la clé de la situation libyenne : 1) Le gouvernement « légitime » de Tobrouk. Ce dernier est issu de la Chambre des représentants élus lors des précédentes élections législatives du mois de juillet 2014 et qui remplace le Congres général national élu en 2012. Sa légitimité est contestée par le Congres général national dominé par les islamistes car seuls 18% d'électeurs ont participé au scrutin alors que le Congres général national avait été élu dans une élection à laquelle 65% des électeurs s'étaient rendus aux urnes. Le Premier ministre du gouvernement de Tobrouk est Abdallah al-Thami et son bras armé est le général Khalifa Haftar. Ce dernier a lance le 16 mai 2014 « l'opération dignité » contre les djihadistes de Cyrénaïque et les Frères musulmans de Misrata. Le gouvernement de Tobrouk a pour lui l'essentiel des tribus de Cyrénaïque dont les Ferjane, les Barasa et les Obeidate. Son but est de reconstituer une partie de l'alliance tribale qui avait été formée par le colonel Kadhafi en ralliant les Ouerfalla, les Tahouna et les Beni Walid. Le gouvernement de Tobrouk qui est reconnu par la communauté internationale est militairement soutenu par l'Egypte et les Emirats arabes. 2) La ville de Misrata, fief des Frères musulmans dispose d'une importante force militaire et bénéficie de l'aide illimitée de la Turquie et du Qatar. Elle domine la coalition des milices islamistes de Tripolitaine en partie regroupées dans Fajr Libya « aube de la Libye » née à Misrata. 3) Tripoli est sous le contrôle des islamistes du Congres général national, l'ancien parlement qui s'est auto-reconduit. Ses forces, dont la principale est la milice Ansar al-Sharia contrôlent une grande partie de l'ouest de la Tripolitaine jusqu'aux frontières de la Tunisie et de l'Algérie depuis leur victoire du 23 aout 2014 quand elles ont chassé les milices de Zenten de l'aéroport de Tripoli. Le leader régional est l'islamiste Abdelhakim Belhadj allié théorique de Misrata. Ses principaux soutiens sont le Qatar et le Soudan. 4) Dernah (ou Darnah), bastion islamiste, s'est rallié à l'Etat Islamique d'Irak. En plus de Dernah, l'EI dispose d'une tête de pont a Benghazi et a établi des ramifications de plus en plus fortes avec certains chefs djihadistes repliés dans le sud libyen. Une quasi alliance a même été nouée avec Moktar Belmokhtar et ses « Signataires par le sang » qui a rompu avec Al-Qaïda. Longtemps soutenus par le Qatar et la Turquie, les islamistes de Dernah semblent l'être moins clairement aujourd'hui. L'EI a une rhétorique unitaire qui l'oppose à tous les autres mouvements. Au nom de l'Islam, il combat en effet toutes les rivalités tribales qui, selon lui, empêchent l'établissement du califat. Son but est de coaguler les milices sous son drapeau noir. Jusqu'a ces dernières semaines les forces de Tobrouk combattaient celles de Dernah, de Misrata et de Tripoli. Aussi, depuis l'émergence de l'EI, et par delà leurs immenses divergences, Tobrouk, Misrata et Tripoli ont un ennemi commun, l'Etat islamique qui veut leur disputer le pouvoir, d'où les combats qui, dans la région des terminaux pétroliers de Syrte, opposent Fajr Libya a l'EI. Aujourd'hui, la Cyrénaïque est à la fois le point d'aboutissement de tous les trafics transsahariens et la plaque tournante de leurs exportations à destination de l'Europe, dont celui de la cocaïne qui, venant d'Amérique du Sud, transite désormais par le Bénin et le Nigéria avant d'être transportée vers le Nord par les islamistes de Boko Haram puis par les djihadistes qui tiennent le sud libyen. Ces mêmes réseaux islamo-mafieux contrôlent le flux de l'immigration clandestine qui aboutit à Malte et à Lampedusa. A ces acteurs, il faudrait notamment ajouter que la situation sécuritaire reste déterminée également par deux autres facteurs : D'une part, la faiblesse et l'inefficacité de l'action des institutions sécuritaires du pouvoir politique central à l'intérieur du pays et le long des 4 000 km de frontières; cela est la conséquence directe des tiraillements et des divergences entre les institutions politiques de transition. D'autre part, la profusion, à travers tout le territoire, de quantités impressionnantes d'armes de tous types allant des armes légères individuelles aux armes lourdes et complexes; en passant par la panoplie de produits et gadgets pyrotechniques faciles à mettre en œuvre et suffisants pour mener les actions terroristes les plus dévastatrices.