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Littérature populaire de la résistance anticolonialiste
Publié dans La Nouvelle République le 07 - 12 - 2015

Après l'invasion coloniale française de l'Algérie en 1830 et sa progressive expansion territoriale, l'éclatement du groupe tribal et le désarroi social conséquent, font naître une poésie d'inspiration individualiste.
Littérature populaire de la résistance : la poésie kabyle Contemporaine de la résistance de l'Emir Abdelkader, et même après sa reddition, la résistance du Bey Ahmed eut pour théâtre le Constantinois, le Sud et la Kabylie. Le grand djihad continua jusqu'en 1857, date de la perte de la Kabylie. (D'après Mahfoudh Kaddache, ouvrage « Le nationalisme algérien », Casbah éditions , Alger). Intervenant quelques temps après le débarquement des Français à Sidi Ferruch, nombre de contrées Kabyles s'étaient engagées, à l'instar des populations de certaines régions du pays, dans le combat contre les assaillants étrangers. Et l'un des plus forts symbole de la conscience nationale des Algériens, à l'époque qui plia en 1857 sous le feu et le sang , s'était manifesté en Grande Kabylie dans le personnage exceptionnel d'une héroïque femme, Lalla Fatma N'Soumer, un guide inhabituel d'une armée de résistants, composée essentiellement de paysannes et paysans insurgés et dont les actes de bravoure ont longtemps été loués dans des poésies enthousiastes et galvanisantes du courage des combattants de la soldatesque de l'occupation coloniale. 14 ans après la résistance farouche à l'occupant français, de nombre de tribus et villages de la Kabylie, et l'épopée de Lalla Fatma N'Soumer s'était à peine écoulée, que la région recommençait de nouveau à faire parler d'elle, avec notamment El-Hadj Boumezrag Mokrani, qui donnera du fil à retordre aux détachements du commandement de la soldatesque coloniale française implantée dans la région. L'histoire retiendra qu'à la suite des insurrections populaires de Kabylie et la répression sauvage qui s'abattit sur la population, les infortunés captifs seront envoyés en exil, avec d'autres prisonniers d'autres régions du pays, à quelques 22 000 kilomètres de leur patrie, à l'autre bout du monde : en Nouvelle Calédonie, en Guyane, ou à Cayenne, sans nul espoir, pour ces malheureux, de revoir un jour leurs siens et chère patrie. Ce sont les déportés Algériens du colonialisme français, trop souvent oubliés, condamnés à de lourdes peines de travaux forcés pour avoir défendu leurs terres, et ainsi déracinés, loin des leurs, par l'ordre spoliateur, l'un d'eux, en l'occurrence le petit fils d'El -Mokrani, M'Hamed Boumezrag Mokrani témoignant que ce fut « un désastre terrible pour sa famille complètement disloquée et pourchassée ». A ce propos, l'historien Yahia Bouaziz mentionne que « la déportation a touché toutes les régions du pays, Tébessa, Biskra, les Babors, Jijel, Skikda, Béjaïa... » et par ailleurs, Louise Michel qui avait été également déportée au bagne de la Nouvelle-Calédonie, en sa qualité de « communarde », a fourni un émouvant témoignage sur les déportés Algériens, dans son ouvrage « La Commune histoire et souvenirs », écrivant « ... Un matin, dans les premiers temps de la déportation, nous vîmes arriver dans leurs grands burnous blancs, des Arabes déportés pour s'être eux aussi soulevés contre l'oppression...Ils étaient simple et bons, et d'une grande justice... Hélas, il en est qui sont toujours en Calédonie et n'en sortiront probablement jamais... » (Cf. J.Jurquet, La Révolution algérienne et le PCF, Paris). Le hasard de l'histoire avait fait réunir, ainsi, patriotes algériens et communards français, dans un lointain bagne aux confins désertées du monde, pour s'être dressés dans d'héroïques combats respectifs, à la même époque, contre l'oppression et l'injustice criarde d'un même féroce ennemi , capitaliste sauvage ,d'une part, et colonialiste tentaculaire, d'autre part. La prise d'Alger dans un poème kabyle : «Tukksa n lzzayer» Poète populaire El-Hadj Ameur U el Hadj était d'un âgé assez avancé lors du triste avènement de la colonisation française de l'Algérie en 1830. On s'accorde à dire qu'il serait né dans le dernier quart du XVIIIe siècle dans la région des Imcheddalen sur le versant méridional du Djurdjura, à une quarantaine de kilomètres de Bouira. Ce poème « Tukksa n lzzayer » (Prise d'Alger) constituerait, au même titre que le poème de Cheik Abdelkader, vraisemblablement de la même époque, un document- témoin de l'invasion coloniale de la période. Dans un passage, l'aède évoque : « (...) Infortunée reine des cités! La ville aux beaux remparts Alger, la colonne de l'islamisme Est maintenant l'égale des habitants du tombeau La bannière des Français l'enveloppe tout entière C'est de l'avis des saints qu'a été rendu cet arrêt »( ...) Plus loin, le poète appelant les habitants d'Alger à la réaction, exhorte : «Debout ! Les hommes aux éperons Compagnons du Prophète! Et toi, notre Prophète de race pure. Et toi aussi, Ali Haider au beau turban Dispersez l'oppresseur ! Etes-vous donc consentants, ou bien n'existez-vous plus ? » Extrait du poème de El-Hadj Ameur, Cf., J. Desparmet dans Revue Africaine – Alger 1930, réédition OPU- Alger 1980 et dans Poésie Kabyle d'antan présenté par M'hammed Djellaoui, (Editions Zyriab- Algérie2004). Littérature populaire de la résistance : la prise d'Alger dans la poésie du Sud Vers 1860, Corneille Trumelet a traduit en français cinq fragments d'un long poème du Saint Marabout et poète Sidi El-Hadj Aïça de Laghouat. Selon une certaine légende le poème aurait été écrit bien avant l'arrivée des Français (elle devait être répandue car Trumelet n'est pas loin d'y croire). Maurice Mauviel est d'avis que le poème est très ancien, ancré dans la mémoire collective de la contrée, considérant : « J'aurais plutôt tendance à penser que la rédaction est ultérieure. Le poème devait être transmis par la tradition orale mais on a donné à Trumelet une version écrite à partir de laquelle il a fait sa traduction. Les deux amis algériens auxquels je me suis adressé ne connaissent pas le poète. Il y a peut-être, parmi vos lecteurs des érudits ou/et des amateurs de la poésie populaire algérienne de cette époque qui pourraient m'éclairer sur la personnalité et l'œuvre de Sidi El-Hadj-Aïça. Je vous laisse juge. En l'état, il me semble que la traduction ne manque pas de souffle et de rythme. Les métaphores sont assez bien rendues et les passages sur les Turcs me paraissent originaux. J'ai un poème d'Albert Lentin (professeur d'arabe à Constantine vers 1930) qui en est proche, curieux. » (Maurice Mauviel). Extrait du Vè fragment de la pièce : C'en est fait de Dzaïr ! Les destins l'ont voulu ! Les impuissants pachas, L'empire vermoulu s'est effondré sous eux, (...) Rien ne résiste, hélas ! À son terrible choc, Et sous ses rudes coups, nos murailles de roc, Comme un vieux tronc pourri qu'aurait frappé la foudre, Se brisent en éclats et s'envolent en poudre (...) Mais Dieu le veut ainsi ; la louange sur lui ! Cherchons dans le seigneur notre plus ferme appui !... Extrait du long poème du poète Sidi El-Hadj Aïça de Laghouat, Cf. Corneille Trumelet, traduction vers 1860 dans la Revue Africaine fondée et publiée à Alger en 1929 par la Société Historique Algérienne, collection rééditée par l'OPU (Office des Publications Universitaires, Ben-Aknoun –Alger 1971). Incontestablement, le poète traditionnel était le porte-parole et le défenseur de sa communauté dont il partageait les vicissitudes de son destin, la désagrégation sociale, l'errance et la misère. Les œuvres écrites, quant à elles, demeurent réservées à certains initiés mais intègrent l'espace de la marginalisation de par leur inaccessibilité à la grande masse populaire. Confinées dans leur marge étroite, ces œuvres, dans la plupart des cas, vont connaître la sclérose qui frappe toute création vivant en vase clos, privée du souffle vivifiant des apports environnants. Jusqu'au premier quart du 19e siècle, la littérature algérienne, et maghrébine en général connaîtra des hauts et des bas, c'est surtout la production orale qui prend le pas sur l'écrit qui recule pour plusieurs raisons : l'instabilité du fait des luttes intestines, tribales et régionales ne favorisant guère l'état propice à l'évolution culturelle et spirituelle, depuis la chute de Grenade en 1492. La décadence favorise l'autoritarisme féodal, l'extrémisme, l'esprit autarcique, l'ignorance et la persécution des lettrés, hommes de savoirs et poètes d'autre part, ce qui a fini par répandre un climat d'insécurité, de méfiance et de belligérance parmi les gens d'une même communauté, elle-même divisée par ses doctrines théologiques rivales. C'est assurément ces multiples facteurs, vecteurs de sous-développement et d'obscurantisme, qui firent rater au Maghreb, et au monde arabo – musulman, en général, la possibilité des apports capitaux de la révolution industrielle universelle, à commencer par l'opportunité de l'imprimerie, « la première machine de la connaissance humaine » (dixit Marshall Mc Luhan) , qui dès 1448 a entamé le changement radical de la société occidentale, semant partout à travers le vieux continent, les savoirs et connaissances accumulés dans les multiples domaines et dont ont pu en profiter, par la suite, nombre de contrées à travers le monde : celles qui ont su faire évoluer leur capital socioculturel et environnemental en veillant à la promotion et formation de leurs élites et forces productives dans une perspective de démocratisation progressive veillant tôt à l'affranchissement et liberté des consciences hors de la mainmise et contrôle totalitaire des chapelles des pouvoirs monarchiques, des ecclésiastes, des traditionnels monopoles et censeurs de tout acabit... Dans la contrée maghrébine et le monde arabo-musulman en général - l'écrit, et ses prolongements typographiques, ne s'étant pas développé en temps opportuns pour de multiples facteurs négatifs influents, internes et externes, - c'est à la tradition orale qu'échut, donc, le rôle de perpétuer une bonne partie de la littérature du terroir. Cette littérature populaire, galvaudée par poésies et chants, a pu ainsi être le porte- parole des préoccupations multiples, des joies et des peines, des mémoires et aspirations diverses des femmes et hommes d'un peuple jaloux de son indépendance et fortement épris
de paix, de justice et de liberté. Un idéal parfaitement exprimé par les bardes de ces poésies populaires, déplorant souvent la « malédiction» qui frappa leur communauté en s'indignant des délaissements des tutelles suzeraines qui ont livré le destin du pays au malheur : une façon pour eux, d'exprimer ce qui a résulté ,historiquement, d'un conditionnement socioculturel et économico-civilisationnel dévié des féodalités successives qui ont imposé un ordre figé qui a fait que la société algérienne, et arabo-islamique, en général, ainsi retardée, ait préparé elle-même les assises de sa « colonisabilité ». Et ce, longtemps avant que ne germent les prémices d'une conscience nationale soucieuse de l'affranchissement du joug oppressif colonial en vue de la réintégration de la communauté internationale mondiale, dans une optique de coopération pacifiste et équitable entre peuples et nations souverains du globe. Ainsi que le préconisait, il y a 61ans la proclamation du 1er novembre 1954 qui reprenait le cri de détresse des déshérités assujettis, aspirant véhément à recouvrir leur liberté et dignité humaine par un combat patriotique imposé et que les valeureux martyrs ont mené à bien, avec le soutien des inoubliables militants et sympathisants de la cause algérienne à travers le monde. Ce combat pour la dignité, à propos duquel, le poète cheikh Abdelkader, disait déjà au moment de l'invasion coloniale française en 1830 : «(...) C'est en pareil cas que les Musulmans se distinguent – (...) Voici que les portes de la béatitude se sont ouvertes pour le peuple saint-(...) - Du courage : ne soyez pas des lâches ! (...) » Gloire aux martyrs de la Révolution, ces premiers poseurs des pierres de l'édifice qui reste à parfaire de la République Algérienne Démocratique et Sociale... (Suite et fin)


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