Un mois après le vrai-faux retrait russe et six semaines après la trêve qui avait étonnamment plutôt bien fonctionné, les choses semblent dégénérer à nouveau en Syrie. Cela dit, Erdogan a-t-il lâché Daech pour Al Qaïda ? La prise d'al-Raï à la frontière syro-turque par les «rebelles» syriens sur l'EI avec l'aide de l'artillerie turque est peut-être un tournant dans la politique du sultan, marquant sa rupture définitive avec le bébé daéchique qu'il a nourri au sein pendant tant d'années. Qui sont donc ces fameux rebelles que les canons ottomans ont aidés ? Al Qaïda et ses affiliés, tout simplement... Erdogan a utilisé Daech jusqu'à la corde. Il semble désormais jeter son encombrant allié pour s'appuyer sur plus «présentable» afin d'empêcher la réalisation de son cauchemar : la jonction entre les deux parties kurdes le long de la frontière turque et la fermeture de ce fameux corridor entre Azaz et Jarablus. Certes, Al Nosra (la branche locale d'Al Qaïda) et Ahrar al-Cham n'ont pas grand chose à envier à l'Etat Islamique, mais les chancelleries et médias occidentaux les appellent «rebelles modérés» depuis des années, alors pourquoi se gêner ? On comprend en tout cas mieux pourquoi Ankara a retiré Al Nosra de sa liste des organisations terroristes il y a quelques jours. Sur un autre plan, il semble qu'on assiste à une schizophrénie irrémédiable des Américains. Washington et toutes ses agences continuent d'envoyer des signaux plus que contradictoires, ce qui n'est guère étonnant vu qu'elles se tirent dans les pattes. Alors que, dans un rare accès de franchise, Kerry loue le rôle constructif des Russes en Syrie, la CIA a livré 3 000 tonnes d'armes à Al Qaïda & Co ces dernières semaines et menace même de livrer des armes anti-aériennes à ses chers terroristes modérés si les pourparlers de paix échouent. A se demander qui dirige vraiment les Etats-Unis... En 2012, Obama avait réussi à mettre son véto à un plan visant à renverser Assad. Résiste-t-il toujours autant à sa surpuissante agence de renseignement ? Pour ajouter à la confusion, le Congrès US pourrait remettre en cause le soutien aux YPG syriennes, pourtant principal candidat du Pentagone. Sur le terrain, les combats redoublent dans la région d'Alep où Al Nosra a déployé 10 000 combattants. Les copains d'Erdogan ont pour l'occasion abandonné plusieurs autres fronts, de toute façon gelés en raison de la trêve (erreur des Russes ?) La lutte est acharnée entre le Hezbollah et Al Qaïda autour de la position stratégique d'Al-Eis, au confluent des provinces d'Alep et d'Idlib, la dernière tenue par la rébellion. Début avril, les djihadistes avaient pris le village et les nombreuses tentatives des forces loyalistes pour le reprendre ont, depuis, échoué. Cette grossière violation du cessez-le-feu, qui ne concernait de toute façon pas Al Nosra, a peut-être entraîné la décision du régime et de ses alliés de lancer enfin la grande offensive pour encercler la grande ville du nord. Un centre d'opérations a été installé en ce sens, comprenant des représentants russes, syriens, iraniens et du Hezbollah, tandis que le commandant de l'opération a déjà été nommé.