Le récent rachat du quotidien arabophone El-Khabar par un industriel connu sonne comme une menace, patente mais réelle, sur la liberté de notre jeune presse, qui s'était lancée dans le sillage des luttes démocratiques qui ont suivi l'adoption de la Constitution de 1989. Menace, dans la mesure où ce choix, réfléchi ou contraint, de nos confrères confirme cette tendance à la mainmise de la puissance de l'argent sur les médias en général, dans notre pays. Ce qui ne peut engendrer qu'une presse à la solde des intérêts économiques ou des lobbies financiers. Le plus dramatique est que, soumis sans doute à une nouvelle forme de censure ou d'aliénation, les journalistes eux-mêmes n'ont pas l'air de s'en soucier. Or, les avis étaient, jusqu'il n'y a pas longtemps, unanimes à juger que la presse écrite en Algérie était confrontée à sa plus grave crise depuis sa création. Avec le spectre de disparition en série de titres en difficulté, qui plane depuis quelques mois, la corporation devait tirer la sonnette. Du coup, les professionnels du secteur sont plus que jamais appelés à trouver des solutions viables aux problèmes, épineux et nombreux, qui se sont accumulés et, avant tout, à trouver un moyen de s'organiser et de débattre des préoccupations actuelles. Il en va de la survie de cette presse qui constitue le fer de lance de la liberté d'expression et le vecteur essentiel de la démocratie dans notre pays. Les éditeurs doivent d'abord faire face au problème crucial que pose la baisse drastique des revenus due au recul brusque et durable de la publicité, qu'elle soit celle émanant des organismes d'Etat ou des opérateurs privés. Une situation face à laquelle même les pouvoirs publics semblent désarmés, comme l'a laissé entendre récemment le ministre de la Communication, Hamid Grine, qui a appelé les journaux à se prendre en charge pour garantir leur survie. Même si la responsabilité est entièrement partagée avec le gouvernement qui continue, malgré tout, à entretenir une pluralité de façade, au détriment d'une véritable relance du secteur de la presse. C'est sans doute aussi l'occasion de réclamer la mise en place d'un Haut conseil de la presse, qui seul devrait accorder l'agrément aux nouveaux titres. Le seul moyen pour mettre un terme à l'anarchie actuel, où l'administration continue à régir le secteur de façon totalement bureaucratique, source de la médiocrité qui sévit depuis des années. Il est illustratif de relever qu'au moment où, dans d'autres pays on assiste à la fermeture de journaux du fait de la concurrence de la presse électronique et des sites d'information, au contraire, en Algérie, les pouvoirs publics encourageaient pour des raisons certainement populistes, une prolifération des titres : près de 130 quotidiens sont tirés, dont un grand nombre, et dont les promoteurs ne sont intéressés que par la manne publicitaire. Et la question que l'on ne peut s'empêcher de se poser est de savoir à quelle logique obéirait cette hypertrophie dans la conjoncture actuelle, où la réalité de la presse est totalement travestie. Par ailleurs, une institution composée de professionnel est susceptible de réglementer la distribution de la manne publicitaire, qui est aujourd'hui convoitée par un cartel de journaux prédateurs pour tenter de pallier leurs déficits en termes de ventes. La situation actuelle devient intenable. La question du monopole de l'Anep sur la publicité institutionnelle, doit être débattue de façon adulte. Mais, avant tout cela, les professionnels du secteur de la presse écrite doivent commencer par s'organiser pour discuter des problèmes, pourtant communs, auxquels ils sont confrontés (distribution, fiscalité, aides de l'Etat, formation...). L'intrusion des hommes d'affaires et des hommes politiques, intéressés essentiellement par la manne publicitaire, n'a fait qu'ajouter à la confusion qui déstabilise actuellement le secteur. Or, la clé de voute serait de reconnaître la particularité et la spécificité de l'entreprise de presse, à laquelle il n'est pas approprié d'appliquer le critère de rentabilité. Puis, il faudra mettre un ensemble de mécanismes pour bien encadrer la presse écrite et favoriser son épanouissement. Il faut aller vers un assainissement du secteur, en arrêtant impérativement d'octroyer abusivement l'agrément à de nouveaux titres qui, non seulement ne peuvent assurer leur propre survie, mais surtout polluent la scène médiatique avec des produits médiocres qui ne tiennent compte d'aucune éthique ni d'aucune règle professionnelle. Pour cela, l'Etat est appelé à intervenir, sans attendre, pour prendre en charge la question de la presse écrite, et que le gouvernement manifeste une volonté politique réelle, et non intéressée, pour y mettre de l'ordre et l'aider à sortir de l'impasse dans laquelle elle se trouve aujourd'hui.