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«Il y a un grave déficit de communication en Algérie»
Amine Naït Djoudi. Consultant et expert en communication
Publié dans El Watan le 18 - 08 - 2014

- Comment jugez-vous la situation actuelle du secteur de la communication ?
Il y a lieu de reconnaître une chose : le secteur de l'information et de la communication va mal. C'est un constat qui a déjà été établi et sur lequel les professionnels du secteur ont toujours attiré l'attention. Nous sommes aujourd'hui devant un paradoxe : il y a une multitude de journaux et de chaînes de télévision privées. Nous avons privilégié le côté quantitatif sur celui du qualitatif. Ce qui a engendré une certaine pratique erronée des métiers de l'information et de la communication.
Il y a lieu de se demander pourquoi focaliser toutes les énergies sur l'élaboration de la carte nationale du journaliste, alors que la profession souffre de problèmes plus importants que cet aspect technique. D'autant que nous avons cette fâcheuse habitude de solliciter toujours les mêmes personnes pour reproduire les mêmes échecs. Pourquoi l'activité journalistique est intimement «liée» au code pénal ? Pourquoi ne pas consacrer par des textes juridiques le droit à la source d'information ?
Ce sont de simples questions qui renseignent sur l'état de la presse nationale. Aussi, il est anormal de vouloir «mettre de l'ordre» dans la presse, alors qu'un partie très importante du secteur est occultée : la communication. L'Algérie accuse un déficit criant en matière de communication. Nous ne produisons pas de communication. Notre pays dépend de ses recettes en hydrocarbures et d'une communication importée.
- Le monopole de l'Etat sur la publicité à travers l'ANEP continue. Peut-on assainir sans la levée de ce monopole sur la publicité ?
La gestion de la manne publicitaire par l'ANEP ne répond à aucun critère commercial. La distribution des insertions publicitaires doit obéir au principe d'impact médiatique reflété par le nombre du tirage du support choisi, de ses ventes et de sa distribution. Il est inconcevable que l'ANEP décide à qui doit revenir la publicité du secteur étatique.
D'autant plus qu'il est pénalisant pour une grande entreprise étatique de voir, par exemple, son avis d'appel d'offres international pour un projet estimé à plus de dix millions d'euros publié dans un journal qui est tiré à peine à 3000 exemplaires. Cela pourrait être interprété comme une façon d'aller vers le gré à gré, étant donné que cet avis d'appel sera infructueux parce que le support est méconnu des professionnels intéressés par ce projet. Les critères de sélection sont inacceptables, car ils obéissent à des considérations autres que professionnelles.
La levée du monopole de l'ANEP sur la publicité est une condition sine qua non pour une presse objective et une concurrence loyale. De plus, il est des plus contradictoires de voir l'Etat assister par le biais de l'ANEP certains quotidiens qui n'ont pas d'impact, alors qu'il s'est délaissé, sous les injonctions du FMI, de tout un tissu économique étatique pourvoyeur de postes de travail.
- Cette anarchie, qui caractérise le secteur, n'a-t-elle pas été favorisée par la «prolifération» de quotidiens en arabe et en français appartenant à des groupes d'intérêts politico-financiers ?
L'ouverture du champ médiatique comme cela été conçu a fait que des considérations d'une conjoncture politique donnée ont pris le dessus sur une réelle volonté de doter l'Algérie postindépendance d'une pluralité médiatique pour la consécration d'une information objective loin de toute pression et qui ne subit l'influence d'aucun enjeu fût-il majeur.
Cet état de fait a effectivement permis la collusion d'intérêts politiques et financiers qui a su asseoir une certaine mainmise sur le secteur. Un journal, qui tire à 6000 exemplaires, ne peut pas être considéré comme un quotidien d'information à caractère national. Si vous distribuez le nombre de ce tirage sur l'ensemble du pays, cela donne 125 exemplaires dudit journal par wilaya ! Le critère de distribution et de couverture est biaisé. Mais cela sert d'autres intérêts qui s'inscrivent en porte-à-faux avec la profession.
Preuve en est qu'il est plus difficile pour un journalise ayant une grande expérience dans le domaine d'obtenir le fameux sésame pour créer un quotidien d'information que pour un magnat de la finance ou un homme politique. Certains parlent de profusion de titres en arabe et en français alors qu'il s'agit, en vérité, d'une prolifération, comme vous l'avez si bien cité. Ce qui constitue une réelle menace. En d'autres termes, il est plus que nécessaire que la presse écrite revienne aux professionnels du métier.
- Il y a actuellement une multiplication de chaînes de télévision en offshore, avec l'absence d'organes de régulation. Assiste-t-on au remake de l'anarchie que connaît le secteur de la presse écrite ?
C'est une autre aberration qui ne fera qu'accentuer la décomposition du champ médiatique. Cela ne pourra être qu'une pâle copie de ce qu'est la presse écrite. Encore que la ressource humaine n'est pas formée dans le domaine de l'audiovisuel qui demande une haute technicité au moment où la production télévisuelle et la télédiffusion connaissent une avancée technologique impressionnante dans le monde. La télédiffusion n'est pas une rotative de l'imprimerie, c'est beaucoup plus compliqué et nécessite d'énormes moyens humains et financiers. Cela prélude d'un échec répété dans la mesure où les mêmes erreurs sont en train d'être reproduites, d'autant plus que nous n'avons pas de veille technologique.
- Que faut-il faire pour mettre fin à cette situation qui déteint sur la profession et qui maintient beaucoup de journalistes dans la précarité ?
Pour améliorer le niveau de la profession, il faut que l'université joue son rôle. Il est inconcevable que des programmes et des références d'ouvrages destinés au cycle universitaire des sciences de l'information et de la communication soient puisés des années 1970 et de pays loin d'être des pionniers dans le domaine.
Ayant souvent à ma charge l'encadrement d'étudiants pour l'élaboration de leur mémoire de soutenance, j'ai attiré l'attention des responsables du ministère de tutelle sur la caducité de ces programmes et sur la nécessité de permettre aux étudiants de faire une spécialisation, après l'obtention de leur licence, dans le domaine de la presse économique, politique, culturelle, sportive, etc. L'étudiant en fin de cycle doit être outillé pour appréhender et apprécier son métier. Cela va lui permettre d'aimer sa profession et de la défendre. Une démarche dont découlera, à moyen terme, un renouvellement graduel du potentiel journalistique, qui tirera la profession vers le haut.


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