Il y a l'urgence d'arrêter le carnage au moment où l'envoyé spécial de l'ONU pour la Syrie, Staffan de Mistura, rappelle depuis Genève que «dans deux mois et demi maximum, au rythme où vont les choses, les quartiers d'Alep-est pourraient être totalement détruits» alors que 275 000 civils, dont 100 000 enfants, y survivent dans des conditions toujours plus désespérées. Il y a aussi la conviction dans de nombreuses capitales et notamment à Paris « qu'il n'y a pas de solution militaire au conflit syrien ». Mais la diplomatie française peine à se poser en médiateur depuis la rupture, lundi 3 octobre, entre Washington et Moscou, et à promouvoir un projet de résolution au Conseil de sécurité de l'ONU qui devait se réunir en urgence vendredi soir à la demande de la Russie. « Ce serait un miracle » : les diplomates occidentaux ne cachent pas leur scepticisme quant à l'adoption de ce texte. Cela dépendra en grande partie de la teneur de l'entretien entre John Kerry et Jean-Marc Ayrault, qui doivent se rencontrer dans la matinée de vendredi, deuxième étape de la tournée du chef de la diplomatie française après sa rencontre jeudi avec le ministre russe des affaires étrangères Sergueï Lavrov, lors de laquelle il voulait lui redire « les yeux dans les yeux » que ces bombardements sont inacceptables. Mécanisme de surveillance Le Monde a pu consulter une version intermédiaire de ce texte de quatre pages que la France a conçu « pour rassembler et recréer un espace de dialogue sur la Syrie entre Washington et Moscou, alors qu'il n'y avait plus rien sur la table à l'issue de l'échec des négociations durant l'assemblée générale des Nations unies, au mois de septembre », selon un diplomate. Des sources onusiennes assurent que de nombreux amendements auraient été demandés, notamment par les Russes, sur le texte qui fait référence à trois paramètres essentiels : l'instauration d'un nouveau cessez-le-feu à Alep, la fin de la campagne de bombardements aériens massifs sur la deuxième ville de Syrie pour permettre l'acheminement d'aide humanitaire, et enfin la mise en place d'un mécanisme de surveillance collectif du cessez-le-feu. Il n'est jamais fait spécifiquement mention de la Russie mais le texte – dans sa version non définitive – note l'indignation du Conseil devant l'escalade inacceptable de violence et l'intensification de la campagne de bombardements aériens sur Alep. Dans un souci d'équilibre, il est fait aussi référence à l'augmentation des attaques terroristes menées par l'Etat islamique, le Front Fatah Al-Cham (ex-Al-Nosra) et toutes les entités liées à Al-Qaida et à l'EI. «Rancœur terrible» La marge de manœuvre des Francais s'avère très faible. Les Américains ressentent une « rancœur terrible » vis-à-vis de Moscou qui, en couvrant l'offensive du régime sur Alep, a torpillé l'accord du 9 septembre. Washington semble à ce stade privilégier la voie d'« efforts multilatéraux en dehors de l'ONU pour imposer des sanctions à la Syrie, à la Russie ou à d'autres », selon Josh Earnest, porte-parole de Barack Obama. Cependant, l'administration américaine continuerait à étudier des options non diplomatiques en dépit de l'avertissement émis jeudi par les autorités russes en cas de frappes visant des positions de l'armée syrienne. L'envoyé spécial des Nations unies pour la Syrie annonçait quant à lui qu'il était prêt à se rendre personnellement à Alep pour escorter les combattants du Fatah Al-Cham hors de la ville. Moscou a toujours utilisé l'argument de la présence du Fatah Al-Cham dans les quartiers est d'Alep pour bombarder massivement la ville et engager une offensive terrestre. « Si vous décidez de partir en dignité et avec vos armes (...), je suis personnellement prêt à vous accompagner », a affirmé le diplomate italo-suédois qui joue là une de ses dernières cartes. « Je rappelle que les bases russes de Tartous et Hmeimim sont pourvues de missiles S-300 et S-400. » Le porte-parole du ministère de la défense russe La première étape de Jean-Marc Ayrault pour soutenir le projet de résolution français passait par Moscou. « Les hôpitaux et les écoles ne sont pas des bases militaires », a tenu à rappeler le ministre des affaires étrangères français à son homologue russe. Plus impavide que jamais, Sergueï Lavrov s'est abstenu de répondre directement, arguant que la Russie ne laisserait pas se « reproduire un scénario comme en Libye », tandis que son interlocuteur s'est cramponné au message qu'il était venu délivrer : pour engager des discussions sur la Syrie, « il n'y a qu'un seul préalable : l'arrêt des bombardements ». Mais quand les deux chefs de la diplomatie pénétraient dans la salle de presse à l'issue de leur entretien, qui a duré à peine plus d'une heure, Jean-Marc Ayrault ignorait encore tout du communiqué diffusé au même moment par le ministère de la défense russe. Dans un long texte signé de son porte-parole, le général-major Igor Konachenko, la Russie menace : en cas d'intervention militaire américaine sur les forces syriennes fidèles à Bachar Al-Assad, Moscou répliquerait immédiatement. « Menace évidente » « Je rappelle aux "stratèges" américains que les bases militaires russes de Tartous et Hmeimim sont pourvues de missiles antiaériens S-300 et S-400 dont la portée permet d'atteindre n'importe quel objet volant non identifié. Il faut vraiment prendre conscience que les opérateurs russes de ces systèmes antiaériens n'auront pas le temps de vérifier la trajectoire de vol exacte des missiles ni même leur origine », a-t-il menacé. Des officiers se trouvant de surcroît « dans la plupart des provinces syriennes », « toutes les frappes de missiles et aériennes sur le territoire contrôlé par le gouvernement syrien créera une menace évidente pour les militaires russes ». En clair, toucher aux forces de Bachar Al-Assad reviendra à se heurter à l'armée russe. La Douma devait adopter vendredi le projet de loi sur la pérennisation de la base de Hmeimim, le cœur du déploiement de l'aviation russe en Syrie.