Cinquante-cinq ans après les massacres d'Algériens à Paris, qui manifestaient pacifiquement pour l'indépendance de l'Algérie, ce «crime d'Etat» reste occulté malgré les appels incessants historiens, de témoins et des familles de victimes d'ouvrir les archives de la brigade fluviale. Considéré par des historiens comme «la répression d'Etat la plus violente qu'ait jamais provoquée une manifestation de rue en Europe occidentale dans l'histoire contemporaine», ces massacres continuent à hanter la mémoire collective française et les officiels n'osent pas, pour l'instant, ou ne veulent pas reconnaître ce crime contre des Algériens à qui un couvre-feu leur a été imposé par le gouvernement français de l'époque. Même si le président François Hollande a fait un «effort», selon des observateurs, sur la question mémorielle liée aux crimes de colonisation française contre les Algériens, «il n'osera pas aller au-delà», estime-t-on. Ils citent pour preuve son revirement concernant la journée du 19 mars et sa dernière déclaration relative aux harkis. Organisée par la Fédération de France du Front de libération nationale (FLN), la manifestation pacifique des Algériens, hommes, femmes et enfants, pour boycotter ce couvre-feu discriminatoire, a été réprimée dans le sang par la police française qui avait ouvert le feu, tuant des manifestants dont des dizaines ont été jetés dans la Seine. Le bilan était lourd du côté des Algériens une centaine de morts, des centaines de blessés et plus dune centaine de disparus. Dans un "Appel contre l'oubli", publié à l'occasion du 55e anniversaire du massacre en France des Algériens, la militante et écrivaine, Monique Hervo, a indiqué être «toujours autant horrifiée par le refus de reconnaître la réalité du massacre du 17 octobre 1961 qui se déroula dans la capitale française». Pour cette militante de 87 ans, qui avait manifesté ce jour-là avec les Algériens, les archives de la brigade fluviale, dont on disait qu'elles étaient détruites, ne le sont pas. «Exigeons des éclaircissements en souvenir de ces Algériens noyés». Le «Collectif 17 octobre 1961 Banlieue Nord-Ouest» abonde dans le même sens en exigeant, pour toutes ces femmes, pour tous ces hommes, «qui se sont battus aux côtés du peuple algérien avec courage», l'ouverture de toutes les archives, dont celles de la brigade fluviale, chargée en octobre 1961 de remonter les corps noyés dans la Seine. Un «crime d'Etat» commis pas la France Du côté des officiels, Monique Hervo a déploré que le «silence d'Etat» eut duré 51 ans jusqu'au mandat du président François Hollande qui a reconnu officiellement qu'il y eut une «sanglante répression», mais sans prononcer le terme de «massacres». Ce qui a poussé le militant antiraciste, anticolonialiste, de la mémoire, Henri Pouillot, à interpeller le président français actuel sur ces massacres lui réitérant de reconnaître ce «crime d'Etat» commis par la France. Dans une lettre ouverte à François Hollande, publiée sur son blog personnel, ce témoin de la guerre de libération et de la torture de l'armée française en Algérie, a rappelé au chef de l'Etat français que le 15 octobre 2011, en sa qualité de candidat à la présidence de la République, il avait signé la pétition initiée par le «Collectif du 17 octobre 1961" demandant au président de la République de "reconnaître et condamner ce crime d'Etat commis par la France le 17 octobre 1961». «Le 17 octobre 2012, comme ce collectif n'avait pas de réponse à ses 2 courriers, je suis un de ces militants (en tant que l'un des animateurs de ce collectif) qui ont patienté plus d'une heure sous la pluie devant la porte de l'Elysée sans pouvoir être reçu», a-t-il écrit, indiquant avoir pris connaissance de sa position en tant que chef de l'Etat à travers les médias. Henri Pouillot reproche à François Hollande d'avoir oublié, dans sa position «laconique» vis-à-vis des massacres du 17 octobre 1961, d'évoquer qui est responsable de «ces faits». «Ils ne sont pas reconnus comme un crime d'Etat, comme vous vous étiez engagé un an plus tôt à le faire», a-t-il souligné 17 octobre 1961 : nécessité d'une «véritable politique» de recherche et d'enseignement de histoire (Historien) Le chercheur en histoire, Amar Mohand Amar, a plaidé pour une «véritable politique» de recherche et d'enseignement de la Guerre de libération nationale, soulignant la nature «barbare et inhumaine» de la colonisation française. S'expriment à l'occasion de la commémoration du 55ème anniversaire des massacres du 17 octobre 1961, le chercheur en histoire au Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (CRASC) d'Oran, estime, dans une déclaration à l'APS, qu'il était nécessaire pour les Algériens de «respecter davantage» leur histoire nationale. Ceci, explicite-t-il, se traduisant à travers la mise en place d'une «véritable politique» de recherche, d'enseignement et de collecte d'archives, ainsi qu'une formation «de qualité» pour les étudiants en histoire. «Cette stratégie volontariste sera bénéfique pour le pays dans le sens où des travaux sérieux, bien documentés et réalisés dans les universités et autres centres de recherche en Algérie, permettront de mettre en évidence dans quelle mesure la colonisation française en Algérie a été un système barbare et inhumain», a-t-il argumenté. Abordant précisément l'épisode des massacres du 17 octobre 1961, ce spécialiste en histoire souligne que «le système colonial français est, par nature, violent et brutal et a exercé cette violence et cette brutalité contre les Algériens jusqu'à la fin de la colonisation, aussi bien en Algérie qu'en France». Ce douloureux épisode ayant coûté la vie à des dizaines d'Algériens, sortis manifester pacifiquement à Paris, est survenu en pleines négociations sur l'indépendance de l'Algérie. A cet égard, M. Mohand Amar considère que «la fin de la guerre n'a pas été synonyme de fléchissement de cette violence». Il fait rappeler à ce sujet la politique de la terre brûlée, appliquée par l'Organisation de l'armée secrète (OAS), impliquant une partie des tenants de «l'Algérie française», civils ou militaires, illustre clairement le caractère violent de l'administration coloniale, observe-t-il. Plaidant pour une «reconnaissance officielle» de la France quant à sa responsabilité historique pour tout ce qu'elle a fait subir aux Algériens, le chercheur estime que cette démarche pourrait contribuer à «dépassionner histoire commune aux deux pays et ouvrir de nouvelles perspectives dans la recherche, dans le cadre d'un travail en commun entre chercheurs des deux rives de la Méditerranée». Interrogé sur la portée que peut véhiculer l'épisode du 17 octobre 1961 et bien d'autres hauts faits de la lutte pour l'indépendance nationale, le chercheur note que l'enseignement le plus important demeure celui de «la prise de conscience par notre jeunesse que l'indépendance nationale a été le résultat d'une très longue et dure résistance». Ali Haroun : une nouvelle «Bataille de Paris» L'institution d'un couvre-feu spécial pour les Algériens, malgré sa formulation de «conseil» se traduit en un texte d'exception qui aggrave de façon dramatique et insupportable la situation des travailleurs algériens, note, pour sa part, l'ancien membre dirigeant de la Fédération du FLN de France, maître Ali Haroun. L'avocat rappelle à l'APS que «si certains proches de l'Elysée voulaient pratiquer la politique de la main tendue, d'autres poursuivaient celle de la trique, des noyades et des ratonnades». Aussi, «la répression vis-à-vis de l'émigration algérienne s'est-elle manifestée de façon continue», poursuit-il. Il fera remarquer que, s'agissant des massacres du 17 octobre 1961, «la torture, d'abord niée, a finalement été reconnue pour des cas particuliers, comme bavure d'abord, puis comme pratique courante», que l'idée de «disparitions d'Algériens a été acceptée du bout des lèvres» alors que «la liquidation de ces derniers par certaines polices est quelque chose de connu, admis et toléré en haut lieu». Il rappellera, à son tour, le contenu du rapport du GPRA dans lequel le Comité Fédéral expliquait l'origine de ces manifestations en ces termes : «Ce serait une grossière erreur de notre part de croire que, parallèlement aux développements politiques et aux contacts officieux ou semi-officieux sur la reprise des négociations, la répression allait s'atténuer pour faciliter la conclusion de ces contacts». «Le préfet de police de Paris, Maurice Papon, instruit par son expérience d'Igame de Constantine, et celle plus lointaine de l'Occupation, entendait retisser à Paris le quadrillage qui lui avait, dit-il, si bien réussi sur les bords du Rhummel», fait observer l'avocat, rappelant les cas «fréquemment évoqués d'Algériens brutalisés, assommés, noyés ou pendus dans les bois des environs de Paris». «On n'en voudra pour preuve que certains faits parmi tant d'autres rapportés par un groupe de policiers républicains, dont la conscience n'a pu s'accommoder d'atrocités devenues choses banales pour d'autres», poursuit Me Haroun, estimant que la décision du couvre-feu tendait à soumettre les Algériens à «un régime discriminatoire de caractère raciste, les livrant encore plus complètement aux visites domiciliaires des harkis et aux rafles des policiers». Abordant les répercussions politiques des journées d'octobre, le témoin cite le compte-rendu de «La revue» de Jean-Paul Sartre, qui avait écrit : «les juifs parqués au Vél d'Hiv sous l'Occupation étaient traités avec moins de sauvagerie par la police allemande que ne le furent, au palais des Sports, par la police gaulliste, les travailleurs algériens». Pour Me Haroun, ce qui est arrivé à Paris en octobre 1961 rappelle les «méthodes» de Massu lors de la «Bataille d'Alger», lequel avait invoqué, avec le ministre de l'intérieur «le terrorisme aveugle du FLN qui viserait les policiers parisiens». «Il n'y a pas, il n'y a jamais eu de terrorisme aveugle du FLN», conclut-il, qualifiant ces tragiques journées d'octobre 1961 de «nouvelle Bataille de Paris».