Le scénario catastrophe d'un «Italexit» après une défaite de la réforme constitutionnelle lors du référendum du 4 décembre en Italie est de plus en plus évoqué. Une option possible, mais loin d'être probable. Le 4 décembre prochain, les électeurs italiens doivent se prononcer sur la réforme de la Constitution proposée par le président du Conseil Matteo Renzi. Cette réforme porte principalement sur l'organisation territoriale et sur les pouvoirs et l'élection du Sénat qui perdrait son égalité parfaite avec la Chambre des députés, notamment pour renverser le gouvernement. Au-delà de la réforme proprement dite, c'est évidemment et surtout le chef du gouvernement lui-même qui est l'enjeu au cœur de ce vote. En personnalisant à l'extrême ce vote, il en a fait un plébiscite sur son mandat. Le choix des Italiens débordera donc de la seule problématique constitutionnelle. C'est du reste ce qui explique qu'une partie des élus du Parti démocrate (PD) de Matteo Renzi appellent à voter «non» à un projet qu'ils ont approuvé au Parlement... Un scénario catastrophe Mais, depuis quelques jours, la presse internationale, principalement anglophone, agite un nouveau risque, celui d'une sortie de l'Italie, troisième économie de l'union économique et monétaire, première dette publique en valeur nominale (2 172 milliards d'euros). Le «non» du 4 décembre serait donc alors synonyme «d'Italexit» à plus ou moins long terme. Autant le dire alors : la zone Euro aurait bien du mal à résister à un tel choc. Ce serait non seulement un échec politique et un précédent, mais aussi un choc économique et financier dans le cas où la dette publique italienne viendrait à être libellée en nouvelle monnaie dévaluée et si la Bundesbank devait faire son deuil, et aussi dans le cas où une grande partie de ses 715 milliards d'euros de créances vis-à-vis du système de paiement intra-zone euro Target-2 auprès duquel la Banque d'Italie est endettée à hauteur de 353 milliards d'euros. Mais ce risque est-il réel et est-il lié au référendum du 4 décembre ? Le scénario de l'Italexit en cas de «non» repose sur ce scénario : le «non» l'emporte, Matteo Renzi démissionne et de nouvelles élections sont alors convoquées. Le Mouvement 5 Etoiles (M5S) de Beppe Grillo, connu pour son euroscepticisme, l'emporte et décide de sortir l'Italie de la zone euro. Il existe plusieurs raccourcis dans ce scénario qui, au final, n'apparaît pas comme le plus probable. Quels scénarios politiques en cas de « non » ? Certes, il semble évident que la victoire du «non» contraindra Matteo Renzi à démissionner. La main passera alors au président de la République Sergio Matarella. Mais il n'est pas certain que ce dernier convoque de nouvelles élections. Compte tenu du délai assez court d'ici au prochain scrutin prévu en février 2018, il peut demander à Matteo Renzi de rester au pouvoir pour gérer les conséquences du rejet de la réforme constitutionnelle, notamment l'établissement d'une loi électorale sénatoriale. Il peut aussi nommer, dans ce sens, un gouvernement «technique» - fait assez courant en Italie - avec quelques objectifs précis en vue de préparer le scrutin de 2018. Elections anticipées : quels scénarios ? En réalité, de nouvelles élections conduiraient non pas à un gouvernement M5S mais à un chaos politique. Certes, avec la loi électorale actuelle, appelée Italicum, le M5S pourrait remporter la majorité de la chambre des députés. Cette loi prévoit en effet d'accorder la majorité absolue des sièges au parti en tête avec plus de 40% des voix au premier tour et dans le cas où il n'est pas présent, au parti vainqueur d'un ballotage regroupant les deux premiers partis du premier tour. Actuellement, le M5S est derrière le PD dans les sondages, mais ce dernier n'est pas en mesure d'atteindre les 40% au premier tour et le M5S a prouvé sa capacité à regrouper les votes «anti-Renzi». Sa victoire est donc possible à la chambre. Mais cette possibilité ne règle rien. En effet, la loi constitutionnelle sur le Sénat étant rejetée, la chambre haute conservera son pouvoir de renverser le gouvernement. Or, l'Italicum n'est prévu que pour la Chambre des députés. Le Sénat reste donc soumis à un mode de scrutin proportionnel avec un seuil de 2% pour les partis et de 4% pour les coalitions. Avec cette loi - appelée Consultellum - le M5S, donné à environ 30% des voix et quasiment absent dans certaines régions, notamment au Sud et au Nord du pays, n'a aucune chance de disposer d'une majorité. On se retrouvera donc, comme en 2013 avec un parti majoritaire à la chambre, mais pas au Sénat. Mais avec une difficulté centrale : le M5S rejette toute alliance. Le pays serait alors ingouvernable. Il pourrait l'être encore davantage si l'Italicum était rejeté par la Cour constitutionnelle. Dans ce cas, le scrutin à la Chambre serait aussi soumis au Consultellum et aucune majorité ne se dégagerait dans les deux chambres du Parlement. Quelle majorité contre l'euro ? Or, pour faire sortir l'Italie de la zone Euro, il faudrait d'abord constituer un gouvernement. Il faudrait alors que le M5S dépasse sa répugnance à passer des alliances et s'associe à d'autres partis hostiles à l'Euro. Compte tenu de la faiblesse de la gauche italienne hors PD (environ 3% selon le dernier sondage EMG), cette alliance ne pourra se faire qu'avec la Ligue du Nord et les néofascistes de Fratelli d'Italia et elle ne pourra se faire que sur un programme de sortie de l'euro. Le problème, c'est que depuis le vote britannique sur le Brexit la position officielle du M5S n'est pas la sortie de l'UE et de l'Euro, mais l'amélioration de l'UE de l'intérieur et des conditions permettant à l'Italie de demeurer dans la zone euro. Avec de telles positions, l'alliance anti-Euro semble peu probable. D'autant que si le M5S a eu quelques tentations de critiquer l'immigration, une grande partie de sa base vient de la gauche et l'a rejoint pour sa volonté de démocratiser davantage l'Italie. Cela exclut sans doute toute alliance avec l'extrême-droite autoritaire. Si néanmoins un tel attelage parvenait à se constituer, il n'est pas certain qu'il dispose d'une majorité, ni à la chambre, ni au Sénat. Selon l'enquête d'opinion la plus récente publiée par EMG le 21 novembre, ces trois partis cumulent 47,9% des voix contre 47,8% aux autres partis qui regroupent tant le centre-gauche, que la gauche et le centre-droit. C'est dire si la majorité anti-Euro sera alors incertaine. Comment en sortir ? Il faudra, si cette majorité est néanmoins obtenue, définir le cadre de la sortie de l'Euro. Le nouveau gouvernement M5S-Ligue du Nord-Néofascistes devra déterminer si l'Italie sortira de suite de la monnaie unique et comment. Y aura-t-il des négociations pour «améliorer» l'UE, comme le demande le M5S ? Dans ce cas, elles pourraient durer longtemps et, en cas de succès, elles déboucheraient sur un processus difficile et long de ratification. En attendant, il faudra gérer l'Euro tel qu'il est, ce qui émoussera la majorité. Deuxième option, le nouveau gouvernement passera-t-il, comme le demande la Ligue du Nord, par une sortie de l'Union européenne en activant l'article 50, comme va le faire le Royaume-Uni ce printemps ? Des négociations de sortie de l'UE incluront alors les modalités du retour à la souveraineté monétaire de l'Italie. Le nouvel exécutif pourrait aussi sortir unilatéralement et brusquement de l'Euro, ce qui est toujours dans les capacités d'un gouvernement, mais qui supposera inévitablement des mesures d'urgence et une stabilité gouvernementale qu'un tel attelage rend incertaine. Quel référendum sur l'euro ? Mais le fond de la question est celle de la légitimité de la sortie de l'Euro. Une victoire législative d'une coalition formée après coup sera-t-elle suffisante pour justifier le changement de monnaie ? Ce serait en réalité assez contraire aux positions du M5S qui croit surtout à la démocratie directe et réclamait un référendum consultatif sur l'euro. Ce type de référendum n'est pas prévu par la Constitution italienne qui ne prévoit que des lois d'abrogation ou de confirmation. Mais le 18 juin 1989, un référendum consultatif visant à donner au Parlement européen une capacité de rédiger une Constitution européenne s'est tenu en Italie. Pour permettre une telle consultation, il a fallu en passer par une loi constitutionnelle ad hoc votée pour l'occasion. Un gouvernement voulant réaliser une telle loi devra alors absolument avoir la double majorité absolue à la chambre et au Sénat et obtenir la ratification du président de la République. Tout ceci est possible, avec les réserves que l'on vient de voir. Une fois seulement la victoire à ce référendum consultatif obtenu, la stratégie du gouvernement anti-Euro pourrait s'engager. Mais une telle victoire n'est pas forcément acquise d'avance, même si le sentiment eurosceptique des Italiens est un des plus forts de l'UE. Le scénario d'une sortie de l'Euro de l'Italie après le 4 décembre n'est donc pas impossible, mais il répond à un faisceau de conditions successives qui le rend peu probable. Pour autant, cela ne signifie pas que l'Italie ne peut pas sortir de la zone Euro. Car, en réalité, le pays est l'un des plus perdants, avec le Portugal, de sa participation à la monnaie unique. Sa croissance reste structurellement très faible et la popularité de l'UE dans la Péninsule est désormais une des plus faibles de l'ensemble, selon Eurobaromètre. On a vu que les sondages donnent une avance certaine aux partis plus ou moins hostiles à l'UE. Le risque ne disparaîtra pas en cas de «oui» le 4 décembre Paradoxalement, une victoire du «oui» au référendum du 4 décembre rendrait le risque plus présent qu'une victoire du «non». On a vu qu'un «non» plongerait sans doute le pays dans le chaos politique et l'ingouvernabilité, mais réduirait aussi la capacité du M5S de disposer d'une majorité. En cas de «oui» et de validation de l'Italicum par la Cour constitutionnelle, une majorité absolue du M5S en février 2018 représente une option tout à fait possible dans les circonstances actuelles, même si Matteo Renzi sortira sans doute renforcé du scrutin du 4 décembre. Mais si le M5S l'emporte en février 2018, elle disposera d'une majorité plus stable que si elle l'emporte en 2017 après un «non». Si le parti de Beppe Grillo envisage une sortie de l'UE, il en aura alors davantage les moyens, même s'il lui faudra obtenir l'aval du nouveau Sénat pour organiser la loi constitutionnelle permettant le référendum consultatif. Il pourra aussi mener une stratégie claire, sans se soucier d'encombrants alliés. Mais rappelons qu'officiellement, ce parti entend toujours - et malgré son alliance formelle avec le UKIP au Parlement européen - «améliorer l'UE». Cela pourrait supposer des négociations avec les partenaires de l'Italie avant toute avancée vers un Italexit. Pas d'automatisme, mais... Les succès du Brexit et de Donald Trump doivent appeler à la prudence quant à ce scénario d'une sortie de l'Italie de l'UE et de l'Euro. Il n'est pas strictement impossible, loin de là. Et les partenaires du pays, ainsi que la Commission devrait en tenir compte pour tenter de régler la «guerre froide» qui règne depuis des mois entre Rome et Bruxelles. Mais le caractère automatique et immédiat d'un Italexit en cas de «non» le 4 décembre est loin d'être avéré. Ce qui est certain, c'est que néanmoins le pays reste le maillon faible de la zone Euro, avec une situation politique instable, une croissance faible et un secteur bancaire en difficulté. A moyen et long termes, une telle situation est intenable.