Le schéma traditionnel du clivage gauche/droite survivra-t-il au-delà de l'élection présidentielle prochaine ? Ou voici poindre la fin de l'époque d'un système aujourd'hui décrié. Le cours de la campagne pour l'élection présidentielle française, marqué par des rebondissements impensables il y a deux mois et explosifs à l'heure qu'il est, dont la suite est imprévisible, tend vers la fin inexorable d'une époque, celle qui a vu la droite et la gauche exercer le pouvoir à tour de rôle et sans partage, du fait du mode du scrutin. Le 27 novembre dernier, la droite et le centre organisent la première primaire de leur histoire. Trois jours plus tard, soit le 1 décembre, François Hollande, le président sortant, renonce à briguer un second mandat. A travers ce renoncement, ses adversaires y voyaient alors une des preuves évidentes de l'échec du quinquennat. Fort de sa victoire incontestée et incontestable à la primaire de son camp, François Fillon indiquait tracer paisiblement son sillon sous un ciel bien dégagé qui devait le mener droit à l'Elysée. L'alternance à un mandat catastrophique semblait alors évidente en effet. Tout lui souriait, il était loin de la première salve du Canard Enchaîné. Contre toute attente, la primaire de la Belle Alliance populaire sacre Benoît Hamon. Galvanisé par sa victoire inespérée, contacts tout azimut, celui-ci allait faire bonne œuvre de reconstruction d'un parti en lambeaux. A ce moment là, il était encore à l'abris des coups de couteaux dans le dos. C'était en janvier, bien avant les marchandages et les trahisons des compagnons de route. Tout à coup, surgissent les révélations qui plombent la campagne du candidat LR, abîment son image d'homme probe et finissent par compromettre sérieusement la possibilité qu'il soit finaliste. C'est l'union de façade qui caractérise le camp Fillon. Vaille que vaille, l'ex Premier ministre cherche désespérément le bon bout de (sa) campagne. Même mis en examen et abandonné par nombre de ses proches collaborateurs, son directeur de campagne notamment, il tente l'impossible tout en prenant le risque d'exploser son camp, au moment où, d'après les sondages, Mélenchon, le candidat de la France insoumise, lui colle aux basques. En flux constant, la vague bleue Marine suscite la crainte. En conccurente, elle aussi favorite des sondages, Le Pen le menace sur son flan droit Au fil du temps, le doute s'installe chez les socialistes, tant les divergences sont profondes. La campagne se fait à couteaux tirés, la haine déferle avec le souffle, tandis que les défections s'annoncent en cascade, les coups bas et les désertions s'enchaînent, annonçant les signes tangibles du déclin. La base militante, elle, cherche, désemparée, les raisons d'espérer. Comme pour donner le coup de grâce, Manuel Valls, le traître fossoyeur du PS, formule consacrée chez les militants, quitte le navire en pleine tourmente pour un improbable recyclage chez Macron. Là encore, les chances de la gauche [au sens de la pensée jauressienne et mitterrandiste] d'accéder au second tour s'amenuisent de jour en jour. A moins de trois semaines de l'échéance, tout concourt à un bouleversement profond du paysage politique français. D'ailleurs, unanimes, les études d'opinions prédisent que ni le parti de la droite (LR) ni celui de la gauche (PS) ne sont, pour le moment en tout cas, en mesure de se hisser au second tour. Représentés par François Fillon et Benoît Hamon, l'un, candidat égaré dans le dédale de la corruption politique, le second, affaibli par son incapacité à rassembler les différents courants qui traversent son camp, le PS et LR galèrent à assurer leur survie au-delà de l'élection présidentielle. Ainsi, c'est ce fonctionnement propre à la V république, [quelquefois à gauche, quelques fois à droite], qui risque de s'éteindre pour toujours. Tous deux dans la tourmente et au bord de l'implosion, ils ont jusqu'ici et de façon alternée exercé le pouvoir au point d'incarner une sorte de monarchie républicaine fainéante, sclérosée, portée à sauvegarder les privilèges en pratiquant l'entre-soi, mais peu encline à prendre à bras le corps les défis, auxquels doit faire face la France, et à apporter les solutions aux préoccupations dominantes de la population : le chômage, l'éducation, la construction européenne, l'environnement (...). Le mouvement de Emmanuel Macron, une bulle, disait-on, qui allait exploser en vol, finit par caracoler en haut des intentions de vote. Tout comme Marine Le Pen, il joue les premiers rôles et fait figure de gagnant au premier tour. Il rassemble sous la même bannière des tendances jusqu'ici incompatibles, et cette démarche semble porter ses fruits. Transcendant leur chapelle traditionnelle, elles sont nombreuses les personnalités issues de tous horizons, allant de l'ancien chef du parti communiste, Robert Hue, au chantre du libéralisme, Alain Madelin, en passant par le centriste démocrate chrétien, François Bayrou, à partager une vision nouvelle, basée sur «le compromis sur l'essentiel», et qui consiste à sauter le verrou du clivage gauche droite. Attaqué à la fois par le Parti socialiste, Les Républicains [ou ce qu'il en reste des deux ] et la candidate du Front national, ce regroupement hétéroclite où affluent à n'en plus finir toutes les sensibilités, donne de l'envergure et de l'épaisseur à En Marche !, ce mouvement qui, fondé il y a un peu moins d'une année seulement, totalise à lui seul la somme des intentions de vote de Fillon et de Hamon. S'en est fini du clivage gauche/droite? Tout porte à le croire et l'hypothèse est plausible, partagée par bon nombre d'observateurs de la vie politique française. Si, compte tenu du flou qui entoure l'élection présidentielle francaise, il est risqué de se hasarder à émettre un quelconque pronostic sur l'issue du scrutin, car une élection n'est jamais gagnée ou perdue d'avance, la reconfiguration du paysage politique, en revanche, paraît inéluctable. D'autant que le débat organisé mardi soir n'a pas apporté de bouleversement majeur de nature à redonner espoir aux socialiste et aux républicains.