Et là, cela risque de poser un sérieux dilemme aux Saoudiens : faire une croix sur leur prééminence pétrolière mondiale ou faire une croix sur le pétrodollar au risque de voir les Américains le prendre très mal et éventuellement fomenter un changement de régime. On imagine mal dans ces conditions une brusque entente américano-saoudienne contre le Qatar... D'autant plus que les contrats des ventes tant vantées d'armes commandées par le Seoud - 110 milliards avait assuré le Donald - ne seraient que «du vent» selon un expert. Dans cette confusion, le sultan est un peu perdu. Curieusement muet ces derniers jours, il a multiplié les contacts téléphoniques avec Riyad, Doha, Koweït et... Moscou (il semble ne plus pouvoir rien faire sans Poutine depuis quelques mois). Il est finalement sorti de sa réserve pour critiquer les sanctions contre son allié qatari. C'était le minimum syndical : l'AKP tendance Frères musulmans pouvait difficilement rester longtemps silencieuse devant l'offensive contre son «parrain», ce qui pousse d'ailleurs le principal parti d'opposition à réclamer une stricte neutralité turque dans cette affaire. En réalité, Erdogan est bien embêté : en sus de la base américaine, le Qatar abrite une base turque et un accord de défense existe entre les deux pays prévoyant le soutien d'Ankara si la petite pétromonarchie est attaquée. Le sultan n'aurait jamais imaginé que ce puisse être par l'Arabie saoudite ! Deux piliers du pétrodollar et soutiens du djihadisme en conflit, CCG en crise, Turquie ballotée, Etat profond US divisé... Il faut prendre la rupture saoudo-qatarie pour ce qu'elle est : une énième convulsion du «camp du Bien», un émiettement supplémentaire de l'empire. Il n'en fallait pas plus à CNN pour accuser... les hackers russes ! Derrière cette nouvelle dégénérescence de la presstituée se cache tout de même une réalité : c'est Noël au Kremlin, qui se garde toutefois de tout triomphalisme. Il est vrai qu'une coopération, paradoxale elle aussi, existe entre Moscou et Doha, tant sur le plan énergétique que militaire, malgré les différends - et le mot est faible - sur le dossier syrien. Les ouvertures qataries vers l'Iran sont également bien vues par l'ours. D'un autre côté, les relations se réchauffent doucement avec l'Arabie saoudite et le tout-puissant ben Salman a rendu une petite visite en Russie une semaine après le voyage de Trump et une semaine avant la crise actuelle (a-t-il informé Poutine de ce qui se tramait ?) Officiellement donc, le Kremlin ne prend pas position. Mais si un coin durable peut être enfoncé entre l'axe américano-saoudo-israélien et la paire turco-qatarie, c'est du pain béni pour Moscou ainsi que pour Téhéran. (Suite et fin)