Des centaines de milliers de partisans de l'unité de l'Espagne ont déferlé dans les rues de Barcelone dimanche, deux jours après la proclamation de la «République catalane» par le parlement. La grande manifestation s'est dispersée dans le calme après avoir défilé sur le Paseig de Gracia, inondé de drapeaux espagnols et catalans, et où résonnait régulièrement le slogan «Puigdemont, en prison!», en référence au président indépendantiste catalan destitué vendredi par Madrid. Selon la police municipale ils étaient 300.000, tandis que la préfecture et les organisateurs évoquaient une participation allant d'un à 1,3 million de personnes. La région vit les événements avec un grand sentiment d'incertitude, alors que Carles Puigdemont a appelé samedi ses partisans à s'opposer pacifiquement à l'Etat, qui tente de reprendre le contrôle après la déclaration d'indépendance de vendredi. Oriol Junqueras, son numéro deux, a assuré dimanche dans une tribune que M. Puigdemont «est et restera le président» de la Catalogne et affirmé que lui-même ne reconnaîtrait pas les décisions de Madrid, qui a mis la région sous tutelle. «La Catalogne, c'est nous tous!», semblait lui répondre le slogan de la manifestation organisée à l'appel de l'association Société civile catalane, opposée à la sécession. Les séparatistes «vivent dans un monde parallèle, un peu surréaliste», jugeait Silvia Alarcon, une manifestante de 35 ans, «en colère» contre les sécessionnistes. Le socialiste catalan Josep Borrel, ancien président du Parlement européen, a prononcé un discours, fustigeant les séparatistes, responsables selon lui «d'une tragédie historique»: la «fuite» d'un tiers des entreprises de plus de 50 salariés, qui ont transféré leur siège social hors de Catalogne, effrayées par l'instabilité. La «déclaration unilatérale d'indépendance est illégale et illégitime», c'est «une folie qui nous a conduits au précipice», a aussi déploré un des organisateurs, Alex Ramos, rappelant que les indépendantistes n'avaient obtenu que 47% des voix lors des élections régionales de 2015. Les séparatistes sont majoritaires au parlement catalan, avec 72 sièges sur 135, par le jeu d'une pondération des voix favorisant les provinces rurales. Vendredi soir ils avaient été des dizaines de milliers à célébrer la naissance de leur «République» dans plusieurs villes de Catalogne, divisée à parts quasiment égales sur la question de l'indépendance. Le gouvernement du conservateur de Mariano Rajoy a mis en oeuvre le soir même, après autorisation du Sénat, l'article 155 de la Constitution pour prendre les rênes de la région et y «restaurer l'ordre constitutionnel». La numéro deux de son gouvernement, Soraya Saenz de Santamaria, a été désignée pour diriger la Catalogne. Madrid a destitué le gouvernement catalan, dissous le parlement régional et convoqué des élections pour le 21 décembre. «Votarem, votarem», (nous voterons) scandaient dimanche les manifestants, en reprenant le slogan des indépendantistes en faveur d'un référendum d'autodétermination. La manifestation avait des airs de pré-campagne électorale. Les trois principaux partis prônant le maintien de la région au sein de l'Espagne, Ciudadanos (libéral), le Parti socialiste catalan et le Parti populaire de M. Rajoy y ont participé, demandant à leurs partisans à se rendre massivement aux urnes. Selon un sondage du quotidien El Mundo, les indépendantistes perdraient la majorité, en n'obtenant au maximum que 65 des 135 sièges. L'enquête, réalisée avant la déclaration d'indépendance, accorde 42,5% des voix aux sécessionnistes et 54,5% aux non-indépendantistes. La Catalogne, qui a toujours entretenu des relations complexes avec Madrid, a sa propre langue et sa culture, mais sur ses 7,5 millions d'habitants, plus de la moitié viennent d'ailleurs ou sont des enfants issus de familles d'autres régions d'Espagne. Le défi institutionnel posé par les indépendantistes est sans précédent depuis que l'Espagne a retrouvé la démocratie en 1977, même si elle a aussi été secouée par les violences liées à la lutte de l'organisation séparatiste armée basque ETA, tenue pour responsable de plus de 800 morts et qui a renoncé à la violence il y a six ans. Lundi, les fonctionnaires de la région doivent reprendre le travail, cette fois sous les ordres de Madrid, et alors que M. Rajoy pourrait faire face à l'éventuelle désobéissance du gouvernement destitué. Ce dernier pourrait tenter de reprendre ses travaux, lui aussi.