Le président Bashar Al-Assad de Syrie a rompu un long silence et s'est exprimé pour la première fois depuis novembre 2017 devant les conseils locaux des gouvernorats syriens. Après près de huit années de guerre, Bashar Al-Assad estime que cette dernière est loin d'être terminée et que son pays est déterminé à libérer et recouvrir l'ensemble des régions du pays. L'allusion à l'enclave rebelle d'Idleb est évidente mais Al-Assad a également en ligne de mire la vallée de l'Euphrate et la Syrie orientale où des forces étrangères s'y sont installées sous prétexte de soutenir des milices arabo-kurdes luttant contre Daech. Ces deux régions, respectivement sises dans l'extrême Nord-Ouest et l'Est de la Syrie sont les priorités de Damas dans le très court terme. «Nous libérerons le moindre recoin du territoire syrien. Tous ceux qui s'y opposeront seront considérés comme des ennemis et des agresseurs. Nous nous battrons, certes, contre toute force d'agression étrangère sur notre territoire.» La libération du plateau du Golan, un principe de foi de la doctrine militaire syrienne demeure un objectif à long terme mais à la lumière de l'évolution de la guerre en Syrie, il semble que cet objectif stratégique soit devenu une question d'ordre tactique. Pour Damas, la dissuasion la plus efficace à l'égard d'Israël afin de l'empêcher de persister à déstabiliser la Syrie est de maintenir une tension permanente sur le Golan, un plateau stratégique que les israéliens ont occupé en 1967 et annexé illégalement en 1981. Cette tension mobilise l'ensemble des moyens dont dispose Israël et draine ses ressources. L'attachement d'Israël au plateau du Golan est d'ordre éminemment stratégique puisque une éventuelle perte de ce plateau rendrait l'ensemble de la Galilée vulnérable à une invasion terrestre. Il y a aussi une autre dimension à cet attachement obsessionnel : la superstition irrationnelle des dirigeants israéliens qui croient que la perte du plateau et du lac de Tibériade sont susceptibles de provoquer la fin du monde. Al-Assad sait pertinemment qu'Israël n'hésitera nullement à utiliser massivement l'arme nucléaire tactique ou de théâtre pour parer à un tel scénario. Sans surprise, Al-Assad a violemment critiqué le président turc Recep Tayep Erdogan et sa politique étrangère qualifiée de néo-Ottomane opportuniste tout en l'accusant d'être un pion des États-Unis. Dans les fait et loin de sa rhétorique panislamique populiste destinée à la consommation interne des segments de la population turque soutenant Erdogan et son parti, Ankara s'est alliée au Qatar et à Israël et continue d'être le plus important allié de Washington dans la région et se trouve impliqué dans l'ensemble des crises s'étendant du Xinjiang chinois jusqu'en Libye en passant par le Nord de l'Irak et de la Syrie. Al-Assad n'est pas allé par quatre chemins pour signifier à la Turquie que la Syrie est prête à une confrontation armée en cas d'agression turque : «Ankara, qui a supplié Washington d'expédier des troupes dans le nord de la Syrie dès le début de la crise, ne peut pas aujourd'hui imposer ses conditions au comité chargé d'élaborer la nouvelle Constitution syrienne, car Damas est prêt à se battre contre toute force d'agression étrangère». Et en enchaînant sur les victoires que l'armée syrienne a remporté sur les terroristes dans la grande agglomération de Damas, à Alep, à Deir Ezzor et ailleurs en Syrie, Al-Assad rappellera que la pression militaire syrienne a pousser l'ennemi à se replier et se regrouper dans la province d'Idleb où il a sollicité devant le monde entier la protection militaire turque (et donc celle de l'OTAN) Le déploiement de troupes turques à Idleb et dans certains territoires syriens proches des zones frontalières, surveillé de près par Damas, est considéré comme un acte hostile confirmant le véritable rôle de la Turquie dans le grand plan de déstabilisation du Moyen-Orient en général et l'émiettement de la Syrie en particulier. La partition de la Syrie fait partie des objectifs anciens de l'ennemi selon Al-Assad et cet objectif ne s'arrêtera pas en Syrie mais s'étendra bien au delà dans la région et aucun pays n'y sera épargné, y compris la Turquie elle-même.Pour Al-Assad, il faut être naïf pour croire que l'ennemi va lâcher le morceau. Cependant, Al-Assad affirme que lui et l'armée syrienne n'ont jamais été aussi déterminés à se battre jusqu'au bout avant de lancer un clin d'oeil aux populations syriennes vivant dans les zones occupées en déclarant : «Nous savons que la grande majorité des Syriens qui vivent dans les régions occupées sont de vrais patriotes et qu'ils soutiennent le gouvernement.» Ce qui confirme indirectement les très nombreux rapports faisant état d'une infiltration des agents du gouvernement syrien à Idleb mais également dans la vallée de l'Euphrate où ils sont en train de mettre sur pied des noyaux de milices armées pro-gouvernementales ou de créer des clivages entre les différents acteurs opérant dans les zones occupées. Une information jamais confirmée de source indépendante fait état de la présence de loyalistes syriens au sein des instances politico-administratives kurdes ad-hoc dans l'extrême Nord de la Syrie ou que la plupart des intermédiaires techniques traitant avec les forces US et françaises en Syrie orientale et dans l'extrême Nord du pays travaillent pour Damas. Sans les citer explicitement, Al-Assad s'adresse aux Kurdes de Syrie : «je dis aux groupes qui font confiance aux États-Unis que les Américains ne les soutiendront jamais. Le seul soutien pour vous est celui du gouvernement et de l'armée de la Syrie, tandis que les États-Unis vous considèrent comme une monnaie d'échange. Si vous refusez le soutien que vous offre votre patrie, les Américains vous vendront aux Ottomans. L'armée est la seule institution capable de soutenir certains groupes dans le nord-est de la Syrie que je ne veux pas nommer ici». L'allusion aux tractations secrètes entre Damas et les Kurdes ne peut être éludée et d'ailleurs c'est la perdition des FDS ou Forces Démocratiques Syriennes, des unités supplétives soutenues par la coalition internationale mais lâchées par cette même coalition qui constitue la force des arguments de Damas. A Washington, on estime qu'il est impossible de soutenir militairement les FDS qui profitent de l'aide et la logistique US tout en continuant de vendre du pétrole et faire du commerce avec Damas. Des pays européens ont fait le même constat en dépit du bon sens en estimant que contrairement aux Kurdes d'Irak, les Kurdes de Syrie ne veulent pas couper les liens avec Damas. Enfin, Al-Assad estime que la guerre est loin d'être finie en soulignant sa complexité et les fronts, les défis et les menaces multiples où Damas est engagé : «La patrie se bat sur des fronts militaires, économiques (sanctions et embargos), psychologiques et contre la corruption. La corruption est le principal fléau minant l'action et la crédibilité de l'État syrien. C'est la corruption et le sectarisme de certains individus au sein du régime qui ont provoqué des désertions massives au sein de l'Armée au début de la guerre en Syrie ou causé des antagonismes tenaces, particulièrement dans certaines régions ou grandes tribus. Des spéculateurs sans scrupules continuent à détruire une économie syrienne exsangue malgré les aides et des facilités financières russes, iraniennes et chinoises. Al-Assad rend par ailleurs un hommage appuyé aux pays alliés sans lesquels la Syrie n'aurait pas survécu à la guerre féroce qui lui est imposée depuis le 15 mars 2011 en ajoutant que le conflit n'est pas terminé. Cependant il ajoute, plus défiant que jamais, que la Syrie continuera à se battre face à un ennemi stupide qui n'a jamais tiré la moindre leçon stratégique de ses erreurs tout en identifiant deux constantes dans la lutte à mort au Levant : la persistance du plan hégémonique adverse basé sur le changement de régime d'un côté, auquel s'oppose la résistance opiniâtre d'un pays qui refuse le diktat de l'autre : «Nos ennemis ne tirent pas de leçon de leurs erreurs. La réalité syrienne et la situation politique internationale ont évolué, mais deux facteurs demeurent inchangés : primo, le plan hégémonique des États-Unis et de l'Occident ; secundo, la volonté inébranlable de la Résistance populaire des Syriens qui a déjoué les desseins des Occidentaux» Al-Assad est clair et net. Pourtant, il aurait pu choisir la facilité et opter pour ce qu'à fait son homologue soudanais Al-Bachir. Ce dernier était soumis à d'intenses campagnes de guerre médiatiques centrées sur la fiction d'un génocide au Darfour (auquel on a ajouté pour rire, une pincée de la théorie du genre version libérale) en plus d'une guerre au Sud. Al-Bachir a fini par tout cédé : il a coupé les liens avec l'Iran et la Chine, a fini par accepter toutes les conditions possibles, incluant la partition de son pays en deux et la perte de ses gisements d'hydrocarbures. En échange il garde son poste et son pays ne fait plus la Une des médias dominants internationaux. Une option similaire fut offerte à Al-Assad puisque on lui proposa de couper les liens avec l'Iran et le Hezbollah dans une tentative de briser l'axe dit de la résistance et en échange la Syrie aurait bénéficié d'immenses investissements de pays du Golfe et de ceux qui bombardent aujourd'hui l'Est de la Syrie. Al-Assad s'est montré intransigeant et n'a rien cédé. D'où cette guerre interminable qui s'est abattue sur son pays. La guerre au Levant n'est pas terminée.